Avion russe bloqué au Nigeria : les péripéties d'une cargaison militaire française
L’arrivée inopinée samedi d’un avion-cargo russe à l’aéroport de Kano, dans le nord du Nigeria, a surpris la population dans cette région en proie à l’insurrection de la secte Boko Haram.
La nouvelle de l’arrivée d’un avion-cargo transportant une cargaison d’armes s’est répandue comme une traînée de poudre à Kano, métropole du nord du Nigeria régulièrement endeuillée par les attaques de Boko Haram. Un petit groupe de manifestants, très échaudés par le manque d’information, s’est dirigé, lundi 8 décembre, vers l’aéroport de la ville où le mastodonte des airs, un Antonov-124 russe, était retenu par les autorités nigérianes depuis samedi.
"Nous voulons des détails sur le cargo" a écrit l’un des manifestant sur sa pancarte. " À qui appartiennent les armes ?", a renchéri un autre. La nature de la cargaison en question a alimenté les rumeurs pendant tout le week-end avant que l’ambassade de Russie précise, lundi sur son fil Twitter officiel, que l’Antonov-124 immobilisé à Kano transportait du matériel militaire français entre Bangui et N’Djamena. La capitale du Tchad abrite en effet une importante base aérienne française qui sert de hub pour les opérations militaires dans la région.
Une version confirmée par l’ambassadeur français au Nigeria, Jacques Champagne de Labriolle, qui a déclaré lundi également que l’avion-cargo avait dû se poser de manière imprévue à Kano, suite à l’encombrement du trafic de l'aéroport de la capitale tchadienne. Le diplomate français a précisé que l’avion ne transportait pas de cargaison d’armes mais deux hélicoptères Gazelle appartenant à l’armée de l’air française.
Des armes pour lutter contre Boko Haram ?
L’imbroglio diplomatique et l’excuse de la "saturation" du trafic à N’Djamena ont alimenté les spéculations sur la volonté de la France de pré-positionner discrètement des moyens militaires sur place. Les médias locaux évoquent notamment le plan de lutte régional contre Boko Haram, ainsi que la protection de la cimenterie du groupe Lafarge à Ashaka, localité située dans le nord-est du pays. Cette dernière a été visée deux fois en moins d’un mois par les insurgés de Boko Haram.
Quant à l’utilisation d’avions de transports commerciaux russes pour acheminer du matériel militaire, il s’agit d’un moyen régulièrement utilisé par plusieurs pays européens.
"C’est une pratique très courante, explique Alexandre Vautravers, chercheur associé au Centre genevois de politique de sécurité (GCSP). Il y a plusieurs compagnies de fret spécialisées dans ce domaine, la plupart sont russes. Pour tout ce qui pèse plus de 40 tonnes, vous êtes obligés de faire appel à ces compagnies."
Ces compagnies de charters privées, motivées par l’appât du gain et non par des accords géopolitiques, ne sont pas sensibles au refroidissement des relations entre Paris et Moscou, selon l’expert.
L’Antonov-124 ou… le bateau
Les photos de l’Antonov-124 publiées dans les médias locaux montrent qu’il s’agit d’un appareil appartenant à la 224e brigade volante russe, qui a déjà été utilisé pour le compte de l’armée française, notamment dans le cadre de l’opération Serval au Mali en 2013. Le site Internet de la compagnie russe, rebaptisée TTF Air, met en valeur sa collaboration avec la France à travers une carte montrant le déploiement de militaires français à l’étranger ainsi que le logo officiel de la République française.
Une collaboration qui est amenée à durer car l’armée française n’est pas prête de disposer d’aéronefs gros porteurs. Son avion de transport militaire dernier cri, le A-400M Atlas construit par Airbus, a une capacité de transport d'environ 30 tonnes, soit quatre fois moins que celle de l’Antonov-124.
Ce recours à des compagnies de charters russes est également motivé par des impératifs budgétaires. "Ce sont ces compagnies qui vont assumer le coût important de l’entretien de ces appareils pendant toute l’année. De toutes façons, il n’y a pas véritablement d’alternative pour le matériel très lourd. Sinon ça serait le bateau, c'est-à-dire des semaines de transport", explique Alexandre Vautravers.
Une péripétie supplémentaire que la cargaison de l’Antonov-124 immobilisé à Kano devrait éviter. Un porte-parole de l’ambassade de France au Nigéria a confirmé lundi que l’appareil pourrait repartir "très vite" après avoir obtenu l’autorisation de l’armée de l’air nigériane.
France 24