Le Rwanda: bombe à retardement au cœur des Grands Lacs
C’est la conclusion à laquelle est arrivée l’anthropologue néerlandaise, Margot Leegwater, après des années de recherches dans la région sud-est du Rwanda. Elle dresse une analyse des conflits post-génocide qui y sévissent, et qui selon elle, sont en grande partie liés au manque d’accès aux terres arables en zones rurales. Les tensions ethniques au Rwanda ne tombent pas du ciel, affirme-t-elle, mais d’un phénomène – occulté par le pouvoir en place – à savoir la rareté des terres.
Le Rwanda, petit pays enclavé au cœur de l’Afrique, à la densité de population parmi la plus forte au monde, dépend étroitement du secteur primaire : l’agriculture, comme moyen de subsistance. Ces deux facteurs fragilisent et réduisent fatalement la disponibilité des terres. Les conflits de voisinage, dont les causes principales ont trait au grignotage ou exploitation illégale des lopins de terres d’autrui, ne tardent pas à se déchaîner durant les périodes de vaches maigres. Mais ce ne serait tout vous dire, s’il ne fallait encore ajouter à cela les tensions ethniques propres au territoire rwandais et, surtout, la politique étatique post-génocide qui a suivi pour traiter ce malaise. Le problème n’est pas simple vous allez le voir.
En effet, Leegwater développe qu’après la guerre civile qui éclata en 1994, les paysans Hutu du sud-est se trouvèrent contraints par l’Etat rwandais (dirigé par le Front Patriotique Rwandais, FPR, à prédominance Tutsi) de diviser leurs parcelles de moitié, au profit des Tutsi. Cette politique à première vue égalitariste est cependant explosive dans le sens où c’est tout paysan Hutu qui se retrouva stigmatisé à cause de cette loi. Un « partage » institutionnalisé qui ne tarda pas à susciter des frustrations, à commencer par les héritiers, avec le risque, et ça c’est la conclusion de Leegwater, de mener le pays à de nouveaux éclatements de violence.
Les rwandais seraient-ils ainsi pris au piège par la trappe malthusienne ? Pourtant ce problème est loin d’être un fait nouveau. En effet, la rareté des sols faisait déjà des victimes à l’époque de Habyarimana. Ainsi, la question des terres devient la patate chaude que l’ancien régime refile aux autorités actuelles. Aurait–on à faire à un cas insoluble ? Comment ce problème est-il traité aujourd’hui par les instances supérieures?
Mon point est le suivant :comme dit plus haut, la politique de Kigali, que je nommerai « expérimentale », qu’est la suppression totale de toute allusion identitaire ethnique (« Hutu », « Tutsi » et « Twa ») n’est cependant pas dénuée d’intérêts propres dans le sens qu’elle n’avantage que les mieux lotis, à commencer par l’élite – Tutsi, groupe minoritaire. Les trois appartenances ethniques, témoins et produits de l’histoire du Rwanda, se voient bannies comme par magie, au nom d’une neutralité assimilationniste. Une attitude sans équivoque, parce qu’opter pour la “neutralité ethnique” c’est faire preuve d’hypocrisie en faisant croire que le peuple rwandais est un peuple homogène où les différences ethniques et culturelles n’ont jamais existé : un vieux mythe de l’Etat-nation hégémonique et coercitif, dont les pires souvenirs remontent à l’Allemagne nazie. Cependant, le contraire est tout aussi fatal. On a vu les conséquences qu’a provoquées la cristallisation identitaire par l’introduction des cartes d’identité, avec mention ethnique, par le protectorat belge durant la période coloniale sur l’organisation sociale rwandaise.
Donc on vient de le voir : on va d’une mesure politique extrême à l’autre, c’est-à-dire de la cristallisation à la négation identitaire. Aucun régime n’a voulu voir ce phénomène comme une entité dynamique. Au lieu de ça, ils l’ont politisé, directement ou indirectement. Seulement, l’identité ne peut être figée dans le temps et l’espace, parce qu’elle se construit (ou se déconstruit), car toujours façonnée et façonnant simultanément l’individu dans une communauté comme dans une autre.
Les mesures de neutralisation entreprises par Kigali laissent beaucoup de mécontents, et ces derniers ne savent plus où refouler leurs frustrations. Le régime de Paul Kagamé : machine répressive qui ne laisse aucune place aux libertés d’expression, laisse entrevoir un pouvoir qui s’affaiblit à partir du noyau dur, notamment par la fuite d’une partie de l’élite Tutsi protestataire, qui dénonce les dérives d’un parti unique qu’est le Front Patriotique Rwandais (FPR).
Rwanda pays de mille collines
Au niveau populaire : la dépossession du paysan Hutu éveille de l’animosité envers le voisin Tutsi. Les héritiers Hutu se retrouvant quant à eux lésés, les plus téméraires empruntent le chemin de la justice, aux procédures longues et coûteuses. D’autres décident de prendre le chemin de l’exil par ce qu’ils considèrent comme une cause perdue d’avance. Toutefois, ils fuient avec l’espoir qu’ils reviendront reprendre « de force » ce qu’ils estiment leur appartenir – s’il venait à y avoir un brusque changement de régime politique – en leur faveur, bien sûr…
Ce phénomène à une dynamique. Il part de la périphérie vers le noyau, soit du paysan (Hutu) pauvre à l’élite Tutsi au pouvoir. Donc ce sont les paysans, et ce toutes ethnies confondues, qui sont les premiers à briser le silence. Cette dynamique est fatale. En d’autres mots: si une artère, censée diffuser le sang du coeur vers les organes, venait à faire le chemin inverse, ne présagerait-elle pas l’imminente implosion de tout le système sanguin?
Ce sont là les défauts d’une politique étatique centralisatrice incapables de comprendre les véritables besoins des indigènes, d’abord. Effectivement, Paul Kagamé semble plus préoccupé à satisfaire les revendications des donateurs et investisseurs étrangers…par ailleurs pour nourrir ses propres ambitions de mégalomane. C’est là faire preuve d’un mépris notoire envers le peuple rwandais dans son ensemble que de ne pas gérer les tensions sociales qui frappent les campagnes d’un des plus petits pays d’Afrique, quand on sait le passé récent de ce dernier. Et Leegwater a raison de dire que les rwandais sont assis sur une bombe à retardement. Plutôt que promouvoir la diversité ainsi qu’une politique interne réconciliant, Kagamé se contente de reléguer les rwandais dans des rôles et des notions neutres et abstraites respectivement, le tout sous un voile de terreur.
Tout bien considéré, j’invite à nouveau les lecteurs à s’inspirer de la nature. Elle offre des clés à l’énigme. Admirez la faune et la flore du Rwanda : n’est-elle pas luxuriante, diverse et abondante, le tout dans un étroit écosystème ? Dès lors, si cette terre, pays des mille collines, a réussi à concilier une nature aussi variée et généreuse, à plus forte raison ne le ferait-elle pas pour ses propres hommes?
Jean Bigambo.
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Par Jean Bigambo