Au Rwanda, l’arrestation du styliste Turahirwa Moses ravive les inquiétudes sur la liberté d’expression.
Turahirwa Moses, figure emblématique de la mode rwandaise et fondateur de la marque internationalement reconnue Moshions, se retrouve aujourd’hui derrière les barreaux, accusé d’usage et de trafic de drogue. Une chute brutale pour celui qui habillait il y a peu les plus hautes sphères du pouvoir, y compris le président Paul Kagame lui-même.
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Mais derrière cette arrestation retentissante, une autre réalité semble se dessiner. Selon les déclarations du styliste, ces accusations ne seraient qu’un prétexte. En cause : ses récentes prises de position sur les réseaux sociaux, où il a ouvertement critiqué le régime en place.
Le mois dernier, Moses avait publié plusieurs messages dans lesquels il dénonçait l’incarcération injuste de son père à la suite de la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Kagame depuis 1994. Il avait notamment déclaré : «Je n’ai jamais pardonné Kagame», ajoutant qu’il avait pleuré en voyant le président porter ses créations, tant le souvenir de son enfance meurtrie restait vif.
Un témoignage personnel devenu acte de dissidence
Dans ces publications, Turahirwa Moses décrivait un traumatisme d’enfance : celui d’avoir assisté, à l’âge de six ans, à l’arrestation brutale de son père, victime, selon lui, de persécutions ciblées contre les Rwandais d’ethnie hutue dans les années post-génocide. Aujourd’hui encore, il affirme souffrir de séquelles psychologiques importantes, justifiant un suivi médical régulier. Cette déclaration, faite à la barre le 6 mai 2025, n’a cependant pas semblé infléchir la sévérité du traitement qui lui est réservé.
Liberté d’expression muselée ?
Cette affaire soulève une série de questions brûlantes. Peut-on, au Rwanda, raconter son histoire familiale sans risquer d’être arrêté ? Faut-il réduire au silence ceux qui osent exprimer une douleur personnelle ou remettre en question la version officielle de l’histoire? Plus grave encore : assiste-t-on à une instrumentalisation de la justice à des fins politiques ?
Les défenseurs des droits de l’homme tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur la situation au Rwanda, où la dissidence est souvent sévèrement réprimée. Le gouvernement, sous couvert de stabilité et de réconciliation nationale, maintient un contrôle strict de l’espace public, où toute critique du régime peut être assimilée à une attaque contre la nation.
Une justice au service du pouvoir ?
Le cas de Moses n’est pas isolé. Plusieurs opposants ou simples voix critiques ont, ces dernières années, disparu, été arrêtés, ou réduits au silence. Ce climat de peur et d’autocensure mine la liberté d’expression, pilier fondamental de toute démocratie. Il interroge aussi le rôle de la justice : est-elle un outil de répression ou une institution indépendante garante des droits des citoyens ?
Une société en quête de vérité et de réconciliation.
L’histoire de Moses, à travers le prisme de son vécu traumatique, met en lumière une souffrance partagée par de nombreux Rwandais, en particulier ceux qui, comme lui, appartiennent à l’ethnie hutu. Reconnaître cette douleur, sans tomber dans le révisionnisme, serait un pas vers une réconciliation authentique. Mais cela exige une société où chacun peut s’exprimer sans crainte de représailles.
Un appel à l’humanité.
Turahirwa Moses, au-delà de sa notoriété dans le monde de la mode, est avant tout un homme brisé par une histoire personnelle douloureuse. Son incarcération soulève un dilemme moral : devons-nous punir la parole d’un homme en souffrance, ou lui tendre la main pour guérir?
En cette période trouble, le Rwanda se retrouve une fois de plus à la croisée des chemins. Choisira-t-il d’écouter ses enfants blessés, ou continuera-t-il de les réduire au silence?
Patrick Rugaba /Veritasinfo