Vous ne comprenez rien à la situation au Venezuela? Voici quelques explications

Au Venezuela, pays pétrolier qui fut le plus riche d’Amérique latine, deux hommes se disputent le pouvoir: Nicolas Maduro, le président élu, mais qui n’est plus reconnu par une partie de la communauté internationale, et l’opposant Juan Guaido, soutenu par les Etats-Unis, la plupart des Etats latino-américains et certains pays européens.Quand on parle du Venezuela, on pense «pénuries», «supermarchés vides», "manifestations monstres», «presse censurée» et «violence».
Comment en est-on arrivé là ?
Le Venezuela, c’est la patrie de Simon Bolivar, considéré par beaucoup de citoyens comme le héros de l’indépendance de l’Amérique latine contre le colon espagnol. Ce glorieux héritage fait partie l’ADN de ce pays, voisin de la Colombie, du Brésil et du Guyana et que borde la mer des Caraïbes. Le pays, qui compte 30 millions d’habitants, a longtemps été l’un des plus pauvres du monde.
L’or noir, grandeur et décadence
Mais, au début du XXe siècle dernier, on y découvre d’énormes gisements de pétrole. Cet or noir fera la richesse, puis la misère du Venezuela. Ce pétrole représente d’abord une aubaine. Le Venezuela décolle, et profite d’une croissance exceptionnelle jusque dans les années 2000. Mais le pays a pris un gros risque en mettant tous ses œufs dans le même panier, ou dans le même baril pourrait-on dire !
Hugo Chavez, héros socialiste
Quand le socialiste Hugo Chavez est élu président, en 1999, le Venezuela est l’un des pays les plus riches du monde. Le nouveau président se réclame du «bolivarisme». Il veut établir le socialisme du XXIe siècle. Chavez profite de cette manne pour redistribuer cette richesse, et investir massivement dans l’enseignement, la santé, les services publics. En 2010, il nationalise plus de 250 entreprises. Hugo Chavez sort les pauvres de leur misère, il devient extrêmement populaire. Le taux de pauvreté passe de 42% en 1999 à 32% en 2015.
Chavez meurt, son poulain lui succède
Mais Hugo Chavez meurt d’un cancer foudroyant en 2013. Il n’a que 58 ans. C’est un proche, Nicola Maduro, un ancien chauffeur de bus, qui reprend la présidence par intérim, avant d’être élu avec 50,7% des voix. Mais sa cote de popularité s’effrite. Il n’a pas le charisme d’Hugo Chavez. En 2017, près de 80% de la population le rejette. D’autant que le pays s’enlise dans une crise économique.
Une dépendance dangereuse au pétrole
Avec cette politique dangereuse de tout miser sur la rente de pétrole, le pays importe presque tout, et donc ne produit quasiment plus rien. 2/3 des recettes du pays proviennent du pétrole. Le Venezuela est complètement dépendant de l’extérieur. Quand le cours du pétrole s’effondre, il entraîne l’économie vénézuélienne dans sa chute. Les programmes sociaux doivent être sacrifiés, plombant encore la popularité de Maduro. En 2017, plus de 70% des familles vénézuéliennes passent sous le seuil de pauvreté.
Rayons et ventres vides

Le pays est aussi gangrené par d’autres problèmes. C’est le pays du monde où l’inflation est la plus forte. 2600% en 2017 ! Les denrées de base comme le riz ou la farine commencent à manquer, puisqu’elles sont importées. Les prix grimpent en flèche, ils augmentent de 800%, tandis que le pouvoir d’achat s’effondre. La monnaie locale, le bolivar, a perdu toute sa valeur. Il faut des liasses de billets pour acheter un misérable pain. Le peuple ne mange plus à sa faim. Les rayons sont vides et les files s’allongent devant les magasins. Et puis il y a la violence. Le Venezuela est le 2e pays le plus violent du monde. A ce jour, plus de 2 millions de Vénézuéliens ont fui la pauvreté et la violence qui rendent leur vie trop difficile.
Maduro: dégage!
Plus la cote de popularité du président Maduro s’affaisse, plus l’opposition donne de la voix. L’une de ses principales revendications : le départ du président Maduro. Depuis 2016, de gigantesques manifestations anti-Maduro se déroulent à Caracas. Les manifestants demandent la tenue d’élections anticipées.
Le putch de la Cour suprême
En 2017, la Cour suprême du Venezuela, réputée proche du président Maduro, prend deux mesures contestées : elle s’arroge le pouvoir législatif, normalement exercé par le parlement, ce qui revient à le donner à Nicolas Maduro. Or le parlement était dominé par l’opposition de droite. Le président détient donc les 3 pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. La Cour suprême supprime également l’immunité qui protège les parlementaires ; le gouvernement peut donc déclencher des procédures judiciaires contre eux. Pour l’opposition, il s’agit d’un coup d’Etat !
Les USA, l’Union européenne, les Nations unies et une dizaine de pays d’Amérique latine protestent. La Cour suprême annule ses décisions 48h plus tard. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement Maduro revient à la charge : il fait élire une assemblée constituante qui s’arroge tous les pouvoirs législatifs ; le jour du scrutin, le peuple est dans la rue. Il y aura 15 morts.
Elections truquées ?
En octobre 2017, lors des élections régionales, le Parti socialiste unifié (PSU) le parti de Nicolas Maduro remporte 17 Etats sur 23. L’opposition crie au bourrage des urnes, et refuse de reconnaître le résultat du scrutin. Nouvelles élections, municipales, en décembre. Le PSU en sort encore vainqueur. Cette fois, l’opposition a boycotté le scrutin, et se retrouve exclue de l’élection présidentielle prévue le 20 mai 2018.
C’est donc un boulevard pour Nicolas Maduro, qui est réélu, au grand dam de l’opposition. Mais, depuis les élections de 2015, le Parlement est dirigé par une coalition de centre-droit, fermement opposé à la politique du gouvernement socialiste.
2 gouvernements, 2 présidents, un pays ultra-divisé
L’opposition veut damer le pion au gouvernement : elle a mis sur pied un gouvernement parallèle dit d’unité nationale, avec la nomination symbolique de nouveaux magistrats de la Cour suprême. Désormais la bataille fait rage entre les deux camps : celui des institutions, comme la Cour suprême, considérées comme favorables au président Maduro, et le camp de l’opposition.
Entre le gouvernement et le parlement, c’est le divorce. La situation se radicalise. Certains, dans le pays et à l’extérieur, accusent Maduro de dérive autoritaire. Il est vrai que le président accentue la présence de la police et de l’armée. Les arrestations se comptent par centaines. Nicolas Maduro a aussi renforcé les milices civiles, appelées " colectivos ". Elles comptent 500.000 membres, avec " un fusil pour chacun ", en vue d’une éventuelle " intervention étrangère ".
Le Venezuela, vaisseau phare du socialisme sud-américain

C’est dans ce contexte explosif que le jeune leader du parlement Juan Guaido, s’est auto-proclamé président. Pour le journaliste Maurice Lemoine,(1) ex-rédacteur en chef du Monde diplomatique, "c’est un coup d’Etat à mèche lente, puisque cela fait longtemps que ça dure."
"En 2015, le président Obama a décrété des sanctions contre le Venezuela, qui expliquent en partie le désastre économique vénézuélien. En 2018, John Bolton, le conseiller de Donald Trump, a dénoncé une "troïka de la tyrannie", un triangle de la terreur en parlant du Venezuela, de Cuba et du Nicaragua. L’objectif de Trump c’est de renverser Maduro parce que le Venezuela est un symbole en Amerique latine. Ce pays a été, grâce au Chavisme, le vaisseau-amiral d’une transformation de l’Amérique latine au cours de laquelle des gouvernements de gauche ou de centre-gauche (Rafael Correa en Equateur, Lula au Brésil, Pepe Mojica en Uruguay) ont transformé la face de l’Amérique latine, ont sorti 80 millions de personnes de la pauvreté avec des politiques sociales inédites, et surtout ont relativement échappé au contrôle des Etats-unis."
L’opinion internationale, elle en pense quoi ?
Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a qualifié le 18 juillet 2018 Nicolas Maduro de «mauvais dirigeant rêvant de devenir dictateur». D’autres ont tenté de calmer le jeu. L’Union européenne a condamné les violences en appelant à une «désescalade». A présent, l’Europe appelle à des élections anticipées. Onze pays latino-américains ont demandé à Caracas de «garantir» le droit de protester pacifiquement, ce que le Venezuela a refusé de faire.
Maurice Lemoine nuance les choses :" Au sein de l'organisation des Etats américains, 16 pays sur 34 appuient Juan Guaido et son "coup d'Etat". Ce n'est pas une majorité. Parmi ces pays se trouve le Brésil dirigé par un président d’extrême-droite, Jair Bolsonaro. Il y a aussi la Colombie, elle-aussi dirigée par un président d'extrême-droite Ivan Duque. Ce ne sont pas forcément les gens les plus sympathiques ! "
Il faut dire que la position des pays d’Amérique latine voisins du Venezuela, est le reflet des divisions politiques sur le continent : Les pays qui sont gouvernés par une majorité de droite, comme l’Argentine, le Brésil ou le Pérou, appuient l’opposition. D’autres pays, comme la Bolivie, soutiennent Nicolas Maduro. Même en Europe, les avis concernant ce qui se passe au Venezuela sont très polarisés, selon la « couleur politique » de celui qui l’émet.
(1) Maurice Lemoine va publier en mars un ouvrage "Venezuela, chronique d'une déstabilisation" aux éditions "le temps des cerises".
Source : rtbf.be