Rwanda: «La planète Taire»
Paul Kagame ne tolère aucune contestation, même au sein de son propre parti, le Front patriotique rwandais (FPR). Le miracle économique vanté par le président sert de paravent à la brutalité de son régime.
Quiconque s’aventure à s’opposer au régime de Paul Kagame sait désormais qu’il met sa vie en danger. «Le simple fait de critiquer le régime peut conduire à être abattu, où qu’on se trouve», explique P. Mpora**, un militant des droits humains qui, même sous couvert d’anonymat, affirme désormais vivre avec la peur au ventre.
Une dictature
Pour cet avocat, le régime vire à la dictature pure et dure. «Tous les moyens sont bons pour réduire au silence les voix discordantes», constate-t-il, en évoquant l’exemple de la récente incarcération de l’opposante Diane Rwigara. Cette femme politique a assisté à la mort de son père (ancien militant du FPR et opposant notoire), et a été écartée du scrutin d’août 2017 par la Commission électorale, organisme chargé de la mise en œuvre des procédures électorales. Elle s’est ensuite vue inculpée d’incitation à l’insurrection.
Elle est actuellement emprisonnée avec sa mère et sa sœur. «La condamnation de Diane Rwigara, à laquelle viennent s’ajouter l’intimidation et l’emprisonnement d’autres opposant-e-s, vise à réduire l’espace d’expression des citoyens rwandais», regrette l’homme de loi. Il rappelle les maigres résultats des opposant-e-s lors des présidentielles du 4 août 2017: Paul Kagame a obtenu plus de 98 % des voix, tandis que Philippe Mpayimana et Frank Habineza n’ont obtenu respectivement que 0,72 % et 0,45 % des suffrages exprimés.
Un temps opposé à la modification de la Constitution organisée pour reconduire l’actuel chef de l’État au pouvoir, le vert Frank Habineza a dû tempérer ses propos après avoir été menacé de mort plusieurs fois. Cette situation fait dire à P. Mpora qu’«il vaut mieux savoir se taire pour survivre au régime en place. Ce climat de terreur, additionné au traumatisme consécutif au génocide de 1994, explique paradoxalement une large adhésion au régime de Paul Kagame», commentent les témoins rencontrés sur place et dans les pays voisins, où continuent de s’exiler nombre de Rwandais-es.
Butera, élu vice-président du comité directeur de la Ligue pour la promotion des droits de l’homme au Rwanda (LIPRODHOR) en 2014, compte parmi ces personnes poussées à l’exil. Le jour même de son élection, il a été contraint à démissionner par des agents de la police. «Aux yeux du pouvoir, je n’étais pas la bonne personne pour diriger l’association», regrette le quadragénaire, connu pour son rôle en faveur de la justice. Il s’était opposé à divers procès dans le cadre de son travail de juge.
«Je m’inscrivais en faux contre les accusations que la justice inventait de toutes pièces pour condamner abusivement des personnes innocentes. Très souvent, la police et l’armée avaient soutiré des informations aux victimes, qui devaient avouer leur collaboration avec les forces démocratiques de libération du Rwanda. Avec de tels procédés, de nombreuses personnes ont été placées dans l’isolement total, parfois plongées dans l’obscurité loin de tout contact avec leurs familles.»
Pour avoir dénoncé ce genre d’irrégularités, il s’est vu nargué par son responsable de service: «Il faudra désormais choisir entre travail et défense des droits humains.» Quelques jours plus tard, c’était le licenciement, suivi de la perte de son immunité de juge. À ses yeux, le pouvoir a mis en place toute une machine de contrôle et de harcèlement judiciaire. Il se réfère entre autres aux conditions qui l’ont poussé à quitter son pays natal.
«Après avoir perdu mon poste de travail, j’ai été plusieurs fois perquisitionné à mon domicile et menacé de mort si je continuais à dénoncer les violations des droits humains. Jusqu’au moment où un ami policier est venu m’avertir qu’il fallait me sauver si je ne voulais pas mourir le jour même», nous confie celui qui attend encore que sa famille le rejoigne en Ouganda. Daniel Uwimana et Evariste Nsabayezu, ses anciens collègues du comité directeur de la LIPRODHOR, ont eux aussi subi la machine répressive du régime Kagame.
Ils ont été emprisonnés et injustement accusés d’avoir convoqué l’assemblée générale des militant·e·s avec des «signatures falsifiées». Malgré la violence de la répression, des personnalités continuent à défendre les droits humains au Rwanda, avec une certaine abnégation, nous explique A. Butera. C’est le cas de l’avocat Evariste Nsabayezu. «D’autres ont, comme moi, fui le système. C’est le cas d’Umuhumuza Valentin, lui aussi membre de la LIPRODHOR, actuellement exilé aux Pays-Bas», confie-t-il.
Le mirage économique
Aux yeux d’A. Butera, il ne reste plus d’organes indépendants pour défendre les droits humains au «pays des mille collines et mille problèmes». L’ancienne LIPRODHOR a été enterrée par les sbires du régime. Pourtant, elle était connue depuis longtemps pour la promotion des droits humains, bien avant même l’arrivée au pouvoir du FPR en 1994. A. Butera précise qu’il ne reste que la LIPRODHOR gouvernementale, dirigée aujourd’hui par Bienvenu Mihigo, connu, selon lui, pour travailler dans l’intérêt du pouvoir et non des victimes des violations des droits humains.
Une certitude que partage un habitant de Remera, au centre de Kigali. «On ne peut plus parler d’organisation de défense des droits humains au Rwanda ; l’actuelle LIPRODHOR n’en est pas une!», s’indigne K. Muhenawe. Pour cet observateur, le seul discours désormais autorisé par le pouvoir est celui du décollage économique, qui ne touche pourtant qu’une poignée de privilégié·e·s. «Le jour où tout le monde verra que cet argument économique n’est que la parade à toutes les critiques sur les atteintes aux libertés fondamentales dont nous souffrons, on se soulèvera comme un seul homme pour mettre fin à la "planète Taire" qu’est devenu le Rwanda dirigé par Paul Kagame», conclut-il.
Source : amnesty.ch/fr