Rwanda : les mots de Kagame, entre haine identitaire et ambitions régionales inquiétantes.

Publié le par Veritas

Un discours prononcé récemment par Paul Kagame lors du mariage d’un militaire de la RDF (Forces de défense du Rwanda) a provoqué une vive controverse, tant par sa tonalité identitaire que par les symboles et métaphores employés. Derrière les éloges à l’uniforme militaire se cache une rhétorique plus sourde, révélatrice de l’idéologie qui gouverne aujourd’hui le Rwanda et éclaire ses ambitions régionales, notamment à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Quand Kagame glorifie l’uniforme et vilipende les « chiens ».

Devant les invités d’un mariage à forte connotation militaire, Kagame a rendu hommage à l’un des mariés, un officier nommé Edmond, en ces termes : «Cet uniforme qu’il porte a une signification. Autant que possible, ses descendants le porteront aussi. Porter cet uniforme, c’est vouloir que notre pays soit beau, qu’il ne disparaisse pas, comme certains ont tenté de le faire !»

Mais c’est une autre partie du discours, nettement plus inquiétante, qui a suscité l’indignation : «Sinon, ce qui nous est arrivé, à nous, le pays qui était sur le point d’être dévoré par les chiens, se reproduirait. Vous tous ici présents, veillez à ce que notre pays ne soit plus jamais dévoré par les chiens.»

La métaphore des « chiens » est loin d’être anodine. Dans le contexte historique du Rwanda, elle évoque une insulte ethnique implicite. Beaucoup y ont vu une manière de désigner les Hutu mais aussi les Tutsi dits de « l’intérieur », ceux qui vivaient au Rwanda avant l’invasion du pays par le FPR, alors basé en Ouganda, le 1er octobre 1990.

Les propos de Kagame laissent entendre que les Tutsi venus de l’extérieur, notamment ceux qui, comme lui, avaient grandi en Ouganda ou au Burundi, seraient supérieurs non seulement aux Hutu, mais aussi aux Tutsi qui étaient restés au pays. Pour Kagame, ces derniers, qu’il qualifiait autrefois de Bipingamizi (collaborateurs), ne méritaient pas la même considération. Ils sont aujourd’hui largement marginalisés dans les sphères du pouvoir, relégués à des postes symboliques sans réel pouvoir décisionnel.

Ce discours nourrit une idéologie élitiste, ethnique et militariste, où seuls les «libérateurs» venus de l’extérieur seraient dignes de gouverner. C’est dans cette logique que Kagame construit son pouvoir et justifie son autoritarisme.

Une même logique à l’Est de la RDC

Mais cette idéologie ne s’arrête pas aux frontières du Rwanda. Elle s’exporte à l’Est de la RDC, théâtre depuis des années d’un conflit sanglant entre l’armée congolaise et les rebelles du RDF/M23. Ce groupe armé, soutenu militairement, logistiquement et politiquement par Kigali, selon de nombreux rapports de l’ONU, poursuit en réalité un objectif plus vaste : la mainmise du Rwanda sur les ressources minières de la région, sous couvert de protection des Tutsi congolais.

Le projet de Kagame à travers le RDF/M23 n’est rien d’autre qu’une extension de son idéologie de domination. Il instrumentalise les Tutsi congolais comme il a instrumentalisé l’histoire du Rwanda : pour diviser, pour contrôler, pour exploiter. Le peuple congolais, y compris les Tutsi congolais, sont ainsi pris en otage par une vision hégémonique qui les considère comme des moyens, non comme des fins.

Depuis 1994, le régime rwandais a imposé une version officielle de l’histoire du pays, criminalisant collectivement les Hutu, tout en effaçant les crimes commis par le FPR. Les tribunaux Gacaca ont servi de bras judiciaire à cette stratégie, condamnant à tour de bras, souvent sur de simples dénonciations, des dizaines de milliers de citoyens, principalement hutu. Cette justice de vainqueur, sans contre-pouvoirs, a permis au FPR de renforcer sa mainmise sur les terres, les richesses, et les consciences.

Le narratif officiel fait de Kagame le héros libérateur, alors même que son mouvement est responsable de crimes de masse, notamment contre des civils hutu, à l’intérieur comme à l’extérieur du Rwanda, en particulier dans les forêts de la RDC.

Une mémoire sélective, un pouvoir autoritaire.

Comme l’a rappelé l’historien Antoine Rutayisire, pourtant proche du régime : «Les relations interethniques étaient alors relativement pacifiques au sein des masses populaires, sans haine ni violence généralisée. » Mais les élites tutsi de l’époque, par leur refus du partage et leur discours suprématistes, ont contribué à l’escalade. À l’époque, certaines déclarations aristocratiques affirmaient sans détour :

«Ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité. Or la relation entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) a toujours été basée sur le servage ; il n’y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité. »

Ce mépris des revendications sociales hutu a été un terreau fertile pour les extrémismes des deux camps. Aujourd’hui, Kagame reproduit cette même logique d’exclusion et de hiérarchisation ethnique, tout en prétendant œuvrer pour la paix et la stabilité.

Pour Kagame, la domination des Tutsi exilés d’avant 1994 est présentée comme la seule garantie d’un Rwanda stable. Mais cette stabilité repose sur la répression, la surveillance, la peur et le contrôle du récit. Loin de favoriser la réconciliation, elle perpétue les divisions. Et elle justifie une politique étrangère agressive, notamment en RDC, où les civils  congolais hutu, tutsi, nande, banyabwisha, etc continuent de payer le prix d’un projet régional de domination fondé sur la guerre, la manipulation et l’exploitation.

Tant que le pouvoir rwandais n’assumera pas la totalité de son histoire, y compris ses crimes, la région des Grands Lacs restera piégée dans un cycle de violence, de haine et de méfiance.

Cet article s’appuie sur des sources indépendantes, des discours publics et des rapports d’enquête internationaux. Il vise à offrir une lecture critique et équilibrée des dynamiques identitaires, historiques et régionales en cours.

Rédaction de « Veritasinfo »

Publicité
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article