Joseph Kabila veut-il la balkanisation de la RDC ? Analyse d’un discours troublant.
Ce vendredi 23 mai, Joseph Kabila est sorti de son long silence. Après cinq ans d'absence médiatique, l'ancien président de la République démocratique du Congo a pris la parole, au lendemain de la levée de son immunité parlementaire par le Sénat, décision qui ouvre la voie à des poursuites judiciaires pour trahison. En cause : des accusations de collusion avec le groupe rebelle M23/AFC et le Rwanda, son allié historique. Un discours très attendu, mais surtout profondément troublant.
/image%2F1046414%2F20250524%2Fob_098a82_img-20250524-wa0000.jpg%3Fitok%3Dkv4ZQDQ5)
Un discours de rupture et de revanche
Joseph Kabila ne s’est pas contenté de se défendre : il a attaqué frontalement le régime actuel, accusant Félix Tshisekedi de tous les maux — de la guerre à l'Est à l'effondrement des institutions. Mais l'exercice de rhétorique vire rapidement à l’inversion accusatoire : ce que Kabila reproche à son successeur, ce sont souvent des échecs qu’il a lui-même accumulés pendant ses 18 ans au pouvoir. Il critique le chaos sécuritaire à l'Est ?
C’est pourtant sous sa présidence que le Rwanda et l’Ouganda ont implanté durablement leurs réseaux armés en RDC, provoquant des millions de morts. Il reproche à Tshisekedi l’échec de la lutte contre les FDLR ? C’est pourtant lui qui avait invité les troupes rwandaises à les combattre, sans succès. Ce retournement rhétorique questionne profondément sur les intentions de l'ancien président. S'agit-il d’un simple règlement de comptes ou d’un projet plus sinistre ?
L’appel au renversement du régime : un tournant dangereux
Le passage le plus choquant du discours est sans doute celui où Joseph Kabila appelle les Congolais à s’unir pour «renverser le régime Tshisekedi». Ce n’est plus un simple discours d’opposition : c’est un appel à la sédition venant d’un sénateur à vie, un ancien chef de l’État. Ce glissement radical soulève une question grave : Kabila prépare-t-il un retour au pouvoir par la force ?
Les soupçons s’alourdissent à la lumière des informations selon lesquelles il serait en contact étroit avec les militaires pro-M23 qu’il avait lui-même intégrés dans les FARDC, et avec les autorités de Kigali. Sur les réseaux sociaux, des témoignages évoquent même un plan de coup d’État en cours de préparation, avec le soutien logistique du Rwanda.
Vers un projet de balkanisation ?
L'accusation la plus lourde, celle qui glace le sang, est celle de balkanisation. Certains analystes ne craignent que Kabila, en cas d’échec de son projet de reconquête de Kinshasa, ne proclame un État séparatiste à l’Est, dans les territoires actuellement occupés par le M23/RDF. Ce scénario, qui circulait naguère comme une rumeur, prend une inquiétante consistance à la lumière des alliances actuelles de Kabila. Il ne dénonce plus le M23, il l’encense, au détriment des Wazalendo, ces groupes d’autodéfense congolais qu’il accuse, contre toute évidence, de semer l’insécurité.
En se positionnant contre ces résistants congolais, et en justifiant implicitement l’occupation rwandaise, Joseph Kabila s’aligne de facto sur les objectifs de Kagame, qui cherche depuis des décennies à contrôler les riches provinces minières de l'Est.
Un retour aux sources : le soldat rwandais.
/image%2F1046414%2F20250524%2Fob_0c1952_kabila-kagame-a-rubavu.jpg)
Ce discours fait remonter à la surface l’origine même du pouvoir de Joseph Kabila : ancien soldat de l’armée rwandaise, il a été propulsé par Kigali à la tête de la RDC après l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila. À l’époque, son allégeance à Kagame posait déjà question. Aujourd’hui, alors qu’il se rapproche à nouveau du Rwanda, les accusations de trahison résonnent avec une force nouvelle. Peut-on défendre la souveraineté de la RDC en s’appuyant sur les troupes d’un pays voisin qui occupe militairement une partie du territoire national ?
Un choix décisif pour les Congolais.
Joseph Kabila veut-il la balkanisation de la RDC ? Il ne l’a pas dit ouvertement. Mais son discours, ses alliances, son silence sur les crimes du Rwanda, et sa rupture avec l’unité nationale laissent penser qu’il accepte cette issue, voire qu’il la prépare. Pour garantir son retour au pouvoir ou, à défaut, pour régner sur un territoire amputé, soutenu par des puissances étrangères.
L’heure est grave. Car ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement un conflit politique entre deux anciens présidents : c’est l’avenir même de la République démocratique du Congo en tant qu’État unitaire et souverain. Les Congolais devront, une fois de plus, choisir : résister à la fragmentation de leur pays ou se laisser entraîner dans un projet de division aux conséquences potentiellement irréversibles.
Par la rédaction, Le 24 mai 2025.