Rwanda : le message du pardon et de la réconciliation dépasse les hommes, ce message vient de Dieu (Kizito Mihigo).
De 2011 à 2014, le chanteur Kizito Mihigo était devenu une vedette incontestée du show-business au Rwanda. Son crime: avoir prôné la réconciliation nationale!
Rescapé tutsi du génocide rwandais, organiste et chanteur de gospel, Kizito Mihigo avait tout pour plaire au régime actuel en place à Kigali depuis les événements dramatiques de 1994. Né à Kibeho, il n’y a même pas 38 ans, Kizito Mihigo a été élève au petit séminaire de Butare, où il est devenu à l’époque un des compositeurs de chants liturgiques les plus populaires de l’Eglise catholique locale. Mais, le régime du président Kagame a souvent reproché à l’Eglise catholique rwandaise d’avoir été complice du régime hutu du président Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 a déclenché le génocide.
Depuis lors, le nouveau régime tutsi a souvent voulu démontrer que l’Eglise ou du moins certaines congrégations missionnaires, avaient participé à l’établissement d’un climat de polarisation ethnique dans ce petit pays d’Afrique de l’est. Que Kizito Mihigo soit un rescapé tutsi d’une part et ouvertement catholique d’autre part, le rendait donc particulièrement attrayant pour l’image que la propagande de Paul Kagame veut donner du Rwanda, surtout à l’étranger.
Dès lors, le jeune chanteur était présent à toutes les manifestations de commémoration du génocide de 1994 durant lesquelles, à maintes autres occasions, il a chanté l’hymne national composé en 2002; cette composition «Rwanda Nziza», tenait fort à cœur à Mihigo, car il avait été associé à sa composition lorsqu’il il faisait des études au Conservatoire de Paris grâce une bourse octroyée par le président rwandais lui-même.
Mais, si le jeune chanteur a rapidement grimpé les échelons du succès, au point d’animer des émissions hebdomadaires à la télévision nationale, il est subitement tombé en disgrâce, en 2014. Son seul « crime »: avoir diffusé une chanson intitulée Igisobanuro cy’Urupfu (« La signification de la mort » – voir ci-dessous), dans laquelle il réclame la compassion pour toutes les victimes rwandaises, celles du génocide mais aussi celles des vengeances. Kizito est condamné à dix ans de prison pour conspiration contre le gouvernement de Paul Kagame.
La capacité de pardonner

Pour ceux qui connaissaient Mihigo, ce message de réconciliation n’était pas une surprise. Durant son séjour en Europe, il avait fait la connaissance de théologies de la non-violence – surtout d’origine protestante – et avait organisé plusieurs concerts pour la paix et messes de requiem pour toutes les victimes de violences dans le monde, entre autres avec l’évêque de Namur à l’époque, Mgr André Léonard. Archevêque démissionnaire en 2015, Mgr Léonard s’était montré fort préoccupé par l’arrestation de Mihigo, en déclarant qu’il ne pouvait pas « voir en Kizito un homme qui serait dangereux pour la société ».
Victoire Ingabire, une des plus importantes opposantes au régime actuel en place à Kigali, était proche de Mihigo. « Le questionnant un jour sur sa capacité de pardonner, il m’a répondu que le message du pardon et de réconciliation dépasse les hommes ; ce message vient de Dieu. » La musique de Mihigo est remplie de réminiscences spirituelles. « Quand on lui demandait ce qu’il aimerait qu’on écrive sur sa tombe, il renvoyait à l’Abbé Pierre: ‘Il essayé d’aimer’ », dit encore Ingabire.
Kizito Mihigo avait été libéré le 14 décembre 2018, à la suite d’une grâce présidentielle. Il avait alors repris ses activités au service de la paix dans son pays. Il a à nouveau été arrêté le 13 février dernier. Personne évidemment ne croit les autorités rwandaises qui prétendent que Mihigo s’est suicidé dans sa cellule quatre jours plus tard.
Benoit Lannoo/ cathobel.be