Rwanda: Non-lieu requis pour l'entourage de Kagamé - ces preuves que le parquet a rejetées.
Alors que le parquet de Paris a requis un non-lieu pour 9 proches de Kagamé dans l'affaire de l'attentat contre l'avion du président Habyarimana en 1994 - attentat qui a déclenché le génocide - de nouveaux éléments vont dans un sens exactement contraire. Il est question des deux lance-missiles ayant abattu le Falcon du président...
Circulez, il n’y a plus rien sur quoi enquêter. Après deux décennies d’une procédure particulièrement tortueuse, c’est sommairement résumé le message de la justice française à tous ceux qui s’interrogent encore sur la tragédie rwandaise. Le 10 octobre, le vice-procureur de la République du parquet de Paris, Nicolas Renucci, a donc signé un réquisitoire aux fins de non-lieu concernant neuf proches de Paul Kagamé que le juge Bruguière estimait liés à l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana en 1994 - attentat considéré comme le facteur déclenchant du génocide. Les magistrats considèrent notamment que la traçabilité des missiles - dont l’origine même pourrait impliquer la responsabilité du Front patriotique rwandais (FPR) de Kagamé - n’est pas du tout convaincante.
Au même moment, s’appuyant sur les recherches du professeur belge Filip Reyntjens, le journal canadien TheGlo be and Mail vient de publier de nouveaux éléments qui vont dans un sens exactement contraire. Des informations obtenues également par Marianne. Les deux missiles SA-16 qui ont abattu le Falcon d’Habyarimana provenaient bien du lot de 40, achetés en 1987 à l’URSS par l’armée ougandaise dont Kagamé a dirigé les services de renseignements jusqu’en 1990.
Le rôle clef des lance-missiles
Dans ce dossier, les éléments matériels concrets tournent essentiellement autour des lance- missiles retrouvés dans les jours et semaines ayant suivi l’attentat, rappelle aujourd’hui Philipe Meilhac, l’avocat des veuves des présidents rwandais et burundais. Or les conclusions du parquet consacrent une énergie particulière à discréditer toutes les informations accumulées sur ce sujet. Le vice-procureur admet que le parquet militaire de Moscou a confirmé au juge Bruguière que les lance-missiles retrouvés et portant les numéros 04814 et 04835 faisaient bien partie d’un lot de 40 unités vendues à l’Ouganda. Mais il minimise ensuite la portée de cette découverte fondamentale, relevant que le parquet russe avait promis de confirmer son information par un document officiel… et qu’il n’a pas tenu sa promesse.
Par ailleurs, poursuit l’avocat, bien que selon Bruguière les deux lance-missiles ont été trouvés sur la colline de Masaka (tenue par le FPR), Nicolas Renucci n’hésite pas à se servir d’un rapport conçu exclusivement par Kigali (le rapport Mutsinzi) pour en conclure qu’en vérité ce lieu est contesté. Et que les missiles ont peut-être été découverts à Kanombé… c’est- à-dire dans le camp des FAR (Forces armées rwandaises, fidèles à Habyarimana). Rien d’étonnant alors si on en arrive ainsi à la conclusion que « les investigations menées n’ont pas établi de manière formelle que l’APR (Armée patriotique rwandaise, bras armé du FPR de Kagamé) disposait en 1994 de missiles sol-air. » Pour le parquet toujours, il serait aussi très difficile de déterminer qui à l’époque, de l’APR ou des FAR, disposait de missiles SA-16.
Si difficile en vérité ? Pourtant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a bel et bien confirmé formellement que les FAR n’avaient jamais disposé de missiles. D’autre part, les archives du TPIR recèlent nombre d’éléments confirmant la possession par le FPR de missiles sol-air. Pour preuve, le 17 mai 1991, alors que la guérilla du FPR contre le régime d’Habyarimana bat son plein, les FAR récupèrent dans le parc national d’Akagera un missile SA-16 dont le numéro de série correspond, une fois encore, au lot fourni par les Russes à l’Ouganda. Mais, au prétexte que le missile n’a pas été trouvé formellement auprès de soldats de l’APR, le parquet de Paris écarte l’argument. Mieux : il a carrément ignoré une autre découverte, faite cette fois par la Monusco (Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo) en août 2016 : un missile de type S16, de la même série russe et ayant appartenu à une milice soutenue par le Rwanda...
L’acharnement du professeur belge Filip Reyntjens confirme tous ces indices. Depuis de nombreuses années, ce dernier avait une « source » à l’intérieur de l’armée ougandaise qui lui promettait la preuve de l’implication de l’APR dans l’attentat du 6 avril 1994, facteur déclenchant du génocide. En prenant beaucoup de risques, l’officier ougandais a pris en photo les listes des missiles achetés par l’Ouganda à l’URSS : les listes ougandaises montrent que les numéros de série sont similaires à ceux des deux lance-missile trouvés à Masaka, à celui du missile trouvé dans le parc Akagera en 1991 et à celui trouvé par la Monusco dans l’est du Congo en 2016. Ces numéros commencent par 048 ou 049. Étonnant ? Pas tellement puisqu’à partir de 1990 c’est à partir du territoire ougandais, et avec le soutien actif, en hommes et en matériel de son armée, que le FPR a mené sa guérilla contre le régime d’Habyarimana. En attendant la confirmation du non-lieu requis par le parquet, du côté de la diplomatie, grâce à la nomination de la ministre des Affaires étrangères de Kagamé à la tête de la Francophonie, Emmanuel Macron espérait définitivement normaliser les relations de la France avec Kigali. Les premières déclarations de Louise Mushikiwabo ne vont pas dans ce sens...
Source : Pierre Péan