Soutien du Rwanda au M23: «Pourquoi avoir donné le Congo de Léopold II aux chinois?»

Publié le par veritas

KabilaEn tournée dans la région des Grands lacs en Afrique, le Ministre belge des Affaires étrangères a palpédu doigt la réalité du conflit dans l’Est de la RD Congo. Une région marquée par la crise entre la RDC et le Rwanda par la rébellion du M23 interposée. Rébellion soutenue par le pays de Paul Kagame, selon un rapport de l’Onu. Face à cette situation, certains pays occidentaux ont seulement condamné le soutien du Rwanda, d’autres ont suspendu une partie de leurs aides au développement du pays des Milles collines. Parmi eux, les pays amis de la RDC. Ne faut-il pas faire plus qu’un simple gèle des aides?


Face à la rébellion du M23 et du soutien, présumé, du Rwanda aux mutins, la classe politique congolaise a fait montre d’unité pour condamner cette énième rébellion. L’Eglise catholique congolaise est aussi montée aux créneaux pour dénoncer le plan d’émiettementde la République Démocratique du Congo. Populations, presse congolaise et Ongs, ont tous crié ces derniers temps au «silence complice de la communauté internationale» face à ce qu’elles qualifient «d’agression rwandaise visant le contrôle de la partie Est de la R D Congo». C’est en ces termes que le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 est perçu par les congolais.

 

Diaspora congolaise active

Des marches, des sit-in ont été organisés à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, devant des ambassades des pays amis pour réclamer plus de sanctions contre le Rwandaaprès la publication du rapport des experts de l’ONU qui étayé le soutien du pays de Paul Kagame aux rebelles du M23.

 

La diaspora congolaise vivant en Belgique, dans une lettre adressée au Premier ministre belge, demande au gouvernement de son pays «d’adopter des sanctions contre le président Paul Kagame et les officiers rwandais cités dans le rapport de l’ONU, d’inciter l’Union européenne à demander à l’ONU d’adopter une résolution changeant et requalifiant le mandat de la MONUSCO (Mission de l’organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en RDC ndlr) … pour désarmer tous les soldats et miliciens étrangers et bandes armées qui opèrent dans l’Est du Congo», peut-on lire dans la correspondance reprise par le site Congoforum.


Début août, au cours d’un sit-in devant l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, la même diaspora congolaise avait des réclamations pour le Président américain.

 

«Monsieur Obama, actuel président des USA, lorsqu’il était sénateur, avait fait adopter une loi devant punir tous ceux qui s’enrichissaient grâce aux minerais de sang en pillant les richesses de la RD Congo et semant la désolation et la mort dans cette besogne…Monsieur Kagame et ses bidasses du M23 devraient être poursuivis», justifiait-elle dans un communiqué distribué pour une grande sensibilisation sur la situation en RDC qui ne semble pas émouvoir grand monde.


Peu de temps après, la SEC (Securities and Exchange Commission), commission américaine, a adopté une loi qui oblige les entreprises à divulguer publiquement leur utilisation de minerais qui viendrait de la zone de conflit en République démocratique du Congo (RDC) ou un pays voisin. Le Congrès américain a adopté cette loi à cause des questions éthiques liées à l’exploitation et le commerce des minerais du conflit par des groupes armés. D’autant plus que, les conflits récurrents dans l’est du Congo sont financés par le commerce illicite des minerais exploités dans cette région par différents groupe armés. Le rapport Mapping d’août 2010 sur les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 en République démocratique du Congo consacre certains de ses chapitres au financement de la guerre dans l’est congolais.

 

Depuis le début de la rébellion du M23 en avril dernier, la situation n’a fait qu’empirer en jetant sur les routes des milliers de refugiés et déplacés.

 

Suspension symbolique des aides


Les Etats-unis, après avoir cherché à étouffer la publication de l’annexe du rapport onusien mettant en cause le Rwanda, ont fini par demander au Rwanda de cesser tout soutien aux rebelles congolais, avant de geler une aide symbolique de 200.000 dollars américains en faveur de l’armée rwandaise.

 

La menace la plus sérieuse aura été le spectre de poursuites judiciaires brandi contre le président Kagame pour les crimes de guerre commis dans un Etat voisin.

 

Après les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Pays-Bas et la Suède ont, eux aussi, suspendus une partie de leurs aides au Rwanda, une manière de faire pression sur le président Paul Kagame. Dans la presse internationale, ces suspensions d’aides ont été interprétées comme le fait que le Rwanda serait lâché par ses soutiens.

 

Pendant ce temps, la Belgique, ancien pays colonisateur de la Rd Congo, est entré en scène. Durant son séjour en août dernier en RDC, Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères Belges, Didier Reynders, est allé à la rencontre des populations refugiées depuis le début de la rébellion du M23. Il a pris un ton ferme tout en minimisant l’effet de la suspension des aides au Rwanda.

 

Le 23 août à Lubumbashi, province du Katanga, il a dit avoir «entendu l’annonce des Etats-Unis qui porte sur la suspension de son aide au Rwanda de l’ordre de 200 mille dollars. Je ne pense pas que ça fasse une pression importante », rapporte la Radio Okapi.


Pour le diplomate Belge, les sanctions contre le Rwanda doivent être concertées pour plus d’impact, comme l’ont souhaité les Congolais de la diaspora en Belgique. Changement de situation tout de même. La Grande-Bretagne qui avait gelé ses aides au Rwanda vient d’en débloquer une partie.

 

En lieu et place des sanctions isolées, Didier Reynders, «préfère travailler avec une coordination pour que si des mesures doivent être décidées, qu’elles le soient pour tous ensembles dans l’union Européenne ou aux Nations unies. Les actions isolées semblent être des effets d’annonce », a dit Didier Reynders à la radio Onusienne.


Réminiscence de la force Artemis et l’Eufor


Les Etats-Unis, la Belgique, la France, la Grande Bretagne font partie du quartet- l’expression date de la guerre froide durant laquelle le feu-président Mobutu, dirigeant de l’actuelle R D Congo, entretenait d’excellentes relations diplomatiques. Après le renversement du dictateur, les relations ont été difficiles entre la R D Congo et ses anciens amis sous Laurent-Désiré Kabila. Mais le rapprochement opéré par Joseph Kabila, fils de Laurent-Désiré, ont de nouveau fluidifié les rapports entre le Congo et ses anciens amis qui sont venus au secours de la RDC pendant ses moments troubles.

 

«On se souvient de la mobilisation de ces pays autour de Kabila fils dès sa prise de fonction. Deux interventions de forces européennes en cinq ans dans le pays, sur demande de conseil de sécurité, en appui à la mission onusienne. La force Artemis en 2002 et l’Eufor en 2006, grâce notamment à l’activisme des politiques français mais aussi de Louis Michel, ancien commissaire européen au développement», rappelle un analyste.

La force Artemis est intervenue pour mettre fin au conflit interethnique en Ituri en 2002 et l’Eufor a servi d’appui à la force onusienne pour la sécurisation des élections de 2006.

 

Mais face à la rébellion du M23, aucune action de ce genre n’a pas encore été entreprise, encore moins envisagée. Faut-il y voir un manque d’intérêt de la communauté internationale envers les populations congolaises?

 

Diplomatie faible et attitude trouble de Kinshasa


Certains facteurs peuvent expliquer l’attitude réservée de certains alliés de la RD Congo au risque d’être accusés d’ingérence. Même s’ils ont été parmi les premiers à faire parler d’eux dans les prises de position, les Etats-Unis ne veulent pas apparaitre au premier plan.

 

Plutôt, ils veulent «laisser les puissances régionales régler la crise, un peu comme ce qui se passé avec le dossier somalien où les Américains agissent via l’implication de l’Ethiopie, souligne pour sa part Philippe Hugon, chercheur à l’Iris, qui précise que les Américains préfèrent la réconciliation entre Kabila et Kagame».


 

Kagame et Museveni revendiquent l’installation de Laurent Kabila au pouvoir. « Nous n’avons pas porté Kabila au pouvoir pour altruisme. C’est parce que nous avions des intérêts dans cette affaire. Une fois au pouvoir, Kabila(le père) n’a pas respecté tous les accords. Il a commencé à s’allier aux Angolais, aux Zimbabwéens. Il était hors de question que les intérêts de l’Ouganda, du Rwanda …au Congo passent à la trappe. Et il n’était pas question que nous abandonnions le terrain« , fait remarquer Yoweri Kaguta Museveni dans le documentaire «La vérité sur la chute de Mobutu» que l’on peut retrouver sur youtube. Aujourd’hui, ce sont les mêmes pays qui soutiennent le M23.

 

Kabila fils qui prend le pouvoir ne pouvait arriver à pacifier le pays sans concessions en faveurs de qui ont placé Laurent- Désiré Kabila au pouvoir, pouvoir qu’il hérite par cooptation après l’assassinat de celui qui est présenté comme son père. La reprise de la guerre aujourd’hui signifie clairement que le consensus entre les alliés d’hier au sein de l’AFDL n’est pas encore trouvé.

 

Le Rwanda s’est montré très offensif dès les premières fuites du rapport des experts sur son appui aux rebelles du M23. Sa ministre des Affaires étrangères était sur tous les fronts pour remettre en cause les éléments de preuve du rapport des experts de l’ONU. Niant l’implication de son pays. Dans un reportage diffusé sur France 24, le président Kagame lui-même a coupé court à une question du journaliste en rapport son implication dans la situation de l’Est du Congo.

 

L’argument de la partialité des experts de l’Onu brandi par le Rwanda ne tient pas devant le discours des Américains qui disposent des preuves de son implication dans ce conflit : «Well, we obviously have information of our own which we share with the UN as well. But the UN report, in our view, is quite compréhensive and quite concerning», répondait Victoria Nuland, l’une des porte-paroles du département d’Etat américain à une conférence de presse le 26 juillet dernier. Traduction:

 

«Eh bien, nous avons évidemment nos propres informations que nous partageons avec les Nations Unies. Mais le rapport de l’ONU, à notre avis, est très complet et très inquiétant».


On est donc en présence d’une violation de l’embargo de l’Onu sur les armes en direction des rebelles.

 

Pendant ce temps, la RD Congo, a d’abord attendu pendant longtemps l’aboutissement de ses propres enquêtes pour pouvoir s’exprimer. Malgré les propos tendus du porte-parole du gouvernement de la RDC sur le fait que l’appui du Rwanda au M23 pouvait mettre à mal les relations entre les deux pays, aucune action d’envergure n’a été posé par la partie congolaise. Par le passé, le Congo avait même fermé son ambassade au Rwanda et vice-versa. Aujourd’hui rien n’est fait.

 

Place aux dialogues


Pour faire taire les armes dans cette région, parmi les solutions préconisées par les acteurs politiques internationaux, le dialogue vient en premier. «Pour l’instant nous privilégions le dialogue comme d’ailleurs les pays de la région des Grands Lacs le font», a fait savoir Didier Reynders. C’est grâce au dialogue et des accords que les combattants du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), rébellion à l’époque, ont été intégré dans l’armée nationale. Une grande partie des mutins du M23 sont issus du Cndp.

 

Les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne demandent aussi ce dialogue comme solution à la crise. Officiellement, les autorités de Kinshasa disent ne pas vouloir négocier avec le M23. Plus le temps passe, la rébellion gagne en confiance et gagne du terrain. L’ONU de sont côté dit «encourager la poursuite d’un dialogue de haut niveau à l’échelle bilatérale et régionale».

 

Il faut souligner, que la Belgique, ancienne puissance coloniale, a changé de ton depuis peu. Avant, au début de la rébellion, elle n’avait même pas élevé la voix pour condamner le soutien rwandais. «Elle s’est contentée d’écouter les arguments développés par les uns et les autres», note la journaliste Colette Braeckman, alors que le royaume dispose bien des moyens de pression: 160 millions d’euros comme aide au Rwanda pour trois ans. Elle n’a rien suspendu, malgré le soutien du Rwanda au M23, qui viole au passage l’embargo de l’Onu sur les armes en direction des rebelles.

 

«Face à cette violation de l’embargo des Nations-Unies sur les armes, face à cette agression, pourquoi nous demande-t-on de négocier avec le Rwanda? Pourquoi les pays amis ne prennent-ils pas d’initiatives plus fortes en faveur du Congo? Ont-ils plus d’intérêts à protéger au Rwanda qu’au Congo?», s’interroge, très remonté, Justin, un étudiant congolais en Italie.


Jean-Jacques, un autre congolais de la diaspora se demande si «on peut encore parler des pays amis du Congo?»

 

RDC victime de ses choix antérieurs


L’univers politique est aléatoire. Dans cet univers, les alliances se font et se défont. De même les alliés d’hier peuvent devenir les ennemis de demain. Cela serait le cas de la RDC avec ses amis d’hier?

 

Bob Kabamba, professeur des sciences politiques à l’université de Liège en Belgique, tente d’expliquer les timides réactions des amis du Congo sur fond des contrats que le gouvernement de Kinshasa a signé avec les Chinois.

 

«Les contrats chinois ont été mal vécus par les Occidentaux, qui ont exigé un recadrage via le FMI. Aujourd’hui encore, tous les marchés publics sont remportés par les Chinois. Certains contrats revisités concernent les entreprises occidentales (Belges, Françaises, Canadiennes, etc.). Or, les investissements étrangers sont au tant de leviers d’influence dont devaient se servir la RDC pour faire entendre sa cause».


Le mécontentement de l’invasion chinoise a suscité quelques mécontents. L’ancien ministre belge des affaires étrangères, Karel de Gutch s’est rendu jusqu’en Chine pour déconseiller aux Chinois de se lancer dans une telle entreprise avec les dirigeants congolais. Quelques jours avant, il venait de provoquer une crise diplomatique en demandant à monsieur Kabila au palais de la nation à Kinshasa: «Pourquoi avoir donné le Congo de Léopold II aux chinois?», confie une source.

 

Parlant des contrats chinois, Philipe Buyoya, professeur des relations internationales à l’université de Kinshasa, estime que «le pouvoir de Kinshasa ne pouvait pas agir sans tenir compte d’un certain nombre de paramètres. Le contrat minier qui n’a pas été revisité et qui est d’ailleurs le plus important est celui signé avec les Américains. C’est TenkeFungurume».

 

Visiblement Kinshasa serait entrain de payer le prix de ses choix économiques avec les Chinois au détriment de ses anciens alliés occidentaux. D’autant plus que sur l’échiquier politique, les entreprises multinationales peuvent s’avérer des alliés de tailles. Dans ce registre, les Chinois, quoique fort économiquement ne disposent pas d’autant de leviers d’influence dans les hautes sphères de politique internationale pour infléchir considérablement les décisions en faveur de la Rd Congo.

 

Les Belges semblent avoir perdu la main dans la région à la suite de la guerre de libération de l’Afdl, qui fait voler en éclat le consensus colonial au profit des acteurs de la région. La France, après avoir été échaudé par le dossier génocide rwandais, semble reprendre pieds dans la région. La seule puissance vraiment influente reste les États-Unis.

 

Aujourd’hui, la reprise de la guerre est un échec pour les Américains, acteurs du rapprochement historique entre Kagame et Kabila en 2009. Ils ont dû se résoudre à l’insistance des Ougandais qui leur ont demandé, selon Philippe Buyoya,  » de résoudre d’abord la question de leurs intérêts au niveau sous-régional ».

 

Nazaire Nkoko et Jacques Matand’(blog.sleafrique.com)


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