Paul Quilès : « Kagamé veut faire oublier ses propres turpitudes »
Invitée ce matin sur France-Inter, la Ministre des affaires étrangères rwandaises, Louise Mushikiwabo, a affirmé qu'une conférence de négationnistes du génocide rwandais s'était tenue au Sénat, à Paris, le 1er avril dernier. Président de la mission parlementaire sur le Rwanda en 1998, le socialiste Paul Quilès a ouvert cette conférence. Il réagit aux propos de la responsable de la diplomatie rwandaise.
Marianne : Ce matin, sur France Inter, Louise Mushikiwabo, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda a évoqué une conférence de « négationnistes » qui se serait tenue au Sénat le 1er avril 2014. Vous avez ouvert cette conférence en tant que président de la mission d’information sur le Rwanda en 1998, comment réagissez-vous à ces accusations ?
Paul Quilès : Lors de ce colloque, dont j’ai fait effectivement l'ouverture, tous les intervenants ont fait mention du génocide. Mais ils ont aussi mentionné les crimes dont est soupçonné le Front Patriotique Rwandais (FPR). Nous avons donné tous les détails : comment on en est arrivés là, ce qui a été fait, ce qui n’a pas été fait, ce qui aurait dû être fait. A quel moment a-t-on nié le génocide ? Les Rwandais qui étaient présents à ce colloque ne l'ont pas fait. En revanche, c’est vrai qu’ils ont nié le caractère démocratique du régime de Kagamé. Cela explique sans doute cette sortie de la ministre des Affaires étrangères rwandaises. C’est typique de ces « idiots utiles » qui utilisent des expressions qui tuent le débat. Une fois que vous avez utilisé le mot « négationnisme », c’est fini, on ne peut plus discuter avec un négationniste !
Paul Kagamé renouvelle ses accusations contre Paris ce matin dans Libération. Vous vous attendiez à un tel feu nourri de déclarations de Kagamé et de sa diplomatie au moment de la célébration des 20 ans du génocide ?
Paul Quilès : Pas du tout. Kagamé est parti dans cette voie pour faire oublier ses propres turpitudes. Ce qui se passe depuis quelques temps au Rwanda inquiète sans doute Kagamé. Ce sont des sorties qui ont pour but de détourner l'attention des observateurs des soupçons pesant sur le régime du président rwandais, notamment au sujet d'assassinats d'opposants à l'étranger. Je pense à l’ancien chef des services de renseignement extérieur du Rwanda, Patrick Karegeya, un opposant notable au président Kagamé, qui a été retrouvé mort dans un hôtel de Johannesburg au début du mois de janvier. Kagamé ne s’en cache pas ce matin dans Libération. Il le dit: «Ne comptez pas sur moi pour faire semblant d’être triste ou pour faire son deuil. (...) J’ai dit que ceux qui menacent le Rwanda, tuent des gens ici et se mettent à l’abri dans un pays étranger seront redevables de leurs actes». C’est assez clair, ça veut dire qu’il assume les assassinats politiques. Depuis ces assassinats, des pays européens ont suspendu leur aide au Rwanda et ses relations avec l’Afrique du Sud et les Etats-Unis se sont nettement refroidies. J’imagine que ça l’inquiète.
Mais les critiques ne viennent pas seulement du gouvernement rwandais. Bernard Kouchner affirme par exemple que le « gouvernement génocidaire a été formé dans l’enceinte de l’ambassade de France en 1994 » et un militaire français a déclaré sur France Culture que l’opération Turquoise n’était pas une opération humanitaire mais une opération « très offensive »...
Paul Quilès : Cela fait partie des inepties qui courent en ce moment. Bernard Kouchner se réfère au rapport commandé par Kagamé lui-même en 2008 qui était un tissu d’horreurs. On y accusait les militaires français d’avoir tué des Tutsis et des médecins d’avoir procédé à des amputations volontaires. Pour ce qui est de l’opération turquoise, ce militaire oublie que l’opération est lancée le 22 juin 1994. La date de début du génocide est le 7 avril 1994. Malheureusement quand l’opération Turquoise arrive, au moins 90% du génocide a déjà eu lieu.
Emmanuelle Cosse, la présidente d’Europe Ecologie - Les Verts a demandé la création d’une nouvelle commission d’enquête sur l’action de la France au Rwanda, réclamant la déclassification de documents officiels. Comment réagit le président de la mission d'information sur le rôle de la France au Rwanda ?
Paul Quilès : C’est irresponsable et honteux. Je l’ai fait savoir à la direction du parti EELV. Ce sont des gens qui ne connaissent rien au dossier. Ils n’ont pas lu le début d’un rapport. Ils ne savent pas qu’à l’époque, on a obtenu la déclassification de 7 500 documents classés «secret défense». Cela participe du style complotiste, ça sous-entend que Kagamé a raison, mais que des forces « obscures » empêcheraient de le faire savoir. Ils ne savent pas non plus qu’il y a eu d’autres enquêtes de l’Organisation de l'Unité Africaine (OUA) et du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). J’ai moi-même demandé, en 2008, au secrétaire général de l’Onu, Ban Ki Moon, de « soumettre l’ensemble des travaux conduits jusqu’à présent sur les causes, le déroulement et les conséquences du génocide du Rwanda à une commission indépendante ».
Source : Marianne