Comment, pour mieux « échapper à l’histoire », Kagame manipule la Justice
Paul Kagame, actuel chef de l’état rwandais l’a dit clairement lors de sa visite officielle en France en septembre dernier : il souhaite « échapper à l’histoire » pour mieux aller de l’avant. Il est donc dans l’obligation de se débarrasser de toute responsabilité dans ce qui est unanimement considéré comme l’acte déclencheur du génocide rwandais : l’attentat contre le Falcon présidentiel du 6 avril 94 à Kigali.
Pour ce faire, Paul Kagame a interdit que son pays pourtant territorialement compétent diligente la moindre enquête sur ce crime. Il a également réussi à empêcher que, s’agissant de l’assassinat des deux chefs d’état africains et de leur suite, se tienne l’indispensable procès international. Il y est parvenu en manipulant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda qui, pourtant, en avait reçu mandat.
Restait cependant un gros problème : en France, les familles de l’équipage de l’avion, assassiné avec ses passagers, avaient porté plainte. Une instruction judiciaire jusque-là à l’abri des pressions politiques nationales et/ou internationales avait prospéré et abouti à la mise en examen de neuf proches de Paul Kagame, celui-ci étant protégé par son immunité présidentielle.
I. L’instrumentalisation du TPIR et de la communauté internationale
L’attentat du 6 avril 94 avait été présenté dès le mois de juin 1994 par le rapporteur spécial des Nations Unies René DEGNI SEGUI comme semblant bien « être la cause immédiate des événements douloureux et dramatiques que connait actuellement le Pays ». DEGNI SEGUI précisait que « dans la mesure où il peut avoir des liens entre ceux qui l’ont commandité et les responsables des massacres… », Il doit être examiné par le rapporteur spécial. C’est un des éléments sur lesquels se fonde le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour adopter le 8 novembre 1994 la résolution des Nations Unies créant le TPIR. Et, par conséquence, le TPIR initiera une enquête sur cet attentat.
En 1997, la canadienne Louise ARBOUR, Procureur du TPIR se montra enthousiaste lorsque Mike HOURIGAN, enquêteur du bureau du procureur lui indique qu’il est en mesure d’avoir des contacts avec certains auteurs de l’attentat. Quelques jours plus tard, Mike HOURIGAN lui rendit-compte par téléphone que ses investigations mettant en cause l’entourage de Kagame. Louise ARBOUR changea alors d’avis : cet attentat n’entrerait plus dans le champ de compétence du TPIR. Elle interdit donc à HOURIGAN de poursuivre cette enquête.
Trois ans plus tard, en 2000, Carla del PONTE succéda à Louise ARBOUR. Après que les déboires de l’enquête HOURIGAN eussent paru dans la presse Canadienne et sous la pression des avocats de la Défense qui ne cessaient de réclamer des investigations sur ce crime déclencheur voire fondateur du génocide, le nouveau procureur en mesura l’importance puisqu’il écrivit « if it is RPF that shot down the plane, the history of the genocide must be rewritten ».
Mais cette enquête sur l’attentat du 6 avril ne sera pas réalisée par le TPIR. Carla del PONTE s’en est expliquée en détail et a clairement exposé comment Kigali exerça en 2002 un chantage sur le TPIR empêchant tout simplement la tenue des audiences du Tribunal en refusant aux témoins rwandais de se rendre à Arusha.
Paul Kagame avait bien conscience que laisser s’accomplir une seule enquête contre le FPR conduirait à celle sur l’attentat et détruirait inéluctablement le château de cartes d’accusations de planification de génocide qu’il avait construit contre ses opposants politiques. Aussi, le 28 juin 2002, il déclara au Procureur du TPIR : « Si vous ouvrez une enquête, les gens vont penser qu’il y a eu deux génocides….. Vous n’avez pas compris ce que je vous ai dit. Nous savons très bien ce que vous faîtes…Et nous ne laisserons pas faire cela… »!
Sortant de cette entrevue houleuse, madame Carla del PONTE explique avec trois ans d’avance comment et pourquoi Paul Kagame se trouvera dans l’obligation pour lui et pour son pouvoir, de détruire l’enquête BRUGUIERE : «. Je craignais que le Conseil de sécurité des Nations Unies ne prenne aucune mesure déterminante pour réagir au refus de Kagame pour coopérer avec le tribunal et à la campagne de dénigrement du Rwanda visant à contrecarrer les travaux du Tribunal. Seule l’enquête Bruguière, pensais-je, pouvait encore jouer un rôle significatif pour briser le cercle vicieux de l’impunité ».
La juge sud-africaine Navanethem PILLAY, alors présidente du TPIR, se joignit à son procureur, Carla del PONTE, pour dénoncer officiellement la défaillance du Rwanda à remplir son obligation de coopérer avec le tribunal. Les Etats Unis intervinrent alors et proposèrent en mai 2003 que toutes les enquêtes mettant en cause des membres du FPR, et surtout toutes les preuves détenues par le TPIR accablant des membres du FPR soient remises au gouvernement de Kigali aux fins d’un éventuel jugement.
Carla del PONTE fut écartée en 2003. Exit avec elle les enquêtes spéciales. Comme elle l’avait pensé, désormais seule l’enquête BRUGUIERE menaçait encore l’impunité totale de Kagame et de ses proches : lire la suite sur http://www.france-turquoise.fr/.
Pierre Foucher