RDC : Ce que le pays perdrait en engageant des négociations avec l'AFC-M23.
Le conflit qui déchire l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) continue de susciter des préoccupations internationales, et les récentes discussions entre le président Félix Tshisekedi et son homologue angolais João Lourenço ont fait naître de nouvelles interrogations. En effet, l’Angola a annoncé son intention d’organiser des négociations directes entre Kinshasa et l'Alliance des Forces Congolaises - Mouvement du 23 mars (AFC-M23), un groupe armé soutenu par le Rwanda. Toutefois, la RDC reste prudente, se contentant de « prendre acte » de cette initiative sans s’engager pleinement dans un processus dont les contours demeurent flous. Quelles seraient les pertes pour la RDC si elle acceptait de s'asseoir à la table des négociations avec ce groupe ?
/image%2F1046414%2F20250313%2Fob_8bdd0c_nangaapaluku-and-bisimwa-m23-rebels.jpg%3Fitok%3DP9b-qdlD)
L'une des premières pertes potentielles pour la RDC serait la légitimité qu'une telle négociation pourrait accorder à l'AFC-M23, un groupe armé qui, selon les autorités congolaises, porte une grande part de responsabilité dans l’instabilité de la région. En engageant des discussions formelles, Kinshasa pourrait être perçu comme une reconnaissance implicite de ce groupe, voire une acceptation tacite de ses revendications politiques et militaires. En effet, l'AFC-M23 est souvent décrit comme étant soutenu par le Rwanda, ce qui met en lumière la dimension internationale du conflit, avec des implications géopolitiques complexes. Pour la RDC, dialoguer avec ce groupe pourrait envoyer un message contradictoire à ses propres forces armées et à la population, qui restent préoccupées par l’ingérence étrangère et les violations des droits humains commises par ce groupe.
Le risque pour la RDC d'accepter une telle médiation est de voir sa souveraineté nationale affaiblie. En effet, le processus de négociation, surtout si des concessions sont faites à l'AFC-M23, pourrait inciter d’autres groupes armés à revendiquer une place à la table des discussions. Cela pourrait ouvrir la voie à une multiplication des négociations avec divers groupes, affaiblissant ainsi l’autorité centrale de Kinshasa. La politique de dialogue avec les groupes armés pourrait, en fin de compte, encourager l’idée que l’usage de la force mène à des accords et non à la soumission, ce qui risquerait de légitimer des pratiques violentes et de prolonger l’instabilité.
Les négociations avec l'AFC-M23 pourraient également détériorer les relations de la RDC avec ses voisins. La position de Kinshasa sur le soutien présumé du Rwanda à ce groupe est bien connue, et toute ouverture vers l’AFC-M23 pourrait être interprétée comme une réorientation de la politique congolaise, susceptible de compromettre les alliances régionales, notamment avec des pays comme l’Ouganda et le Burundi, avec lesquels la RDC coopère dans la lutte contre les groupes armés dans l’est du pays. L’annonce de l’Angola a d’ailleurs mis en lumière un écart de communication, puisque Kinshasa a été surprise par la proposition angolaise, qui semble avoir été faite sans concertation préalable avec les autorités congolaises.
/image%2F1046414%2F20250313%2Fob_ecd10b_capture-d-e-cran-2024-02-14-a-06.png%3Fitok%3DItTmbqSO)
L’absence de détails concrets sur cette initiative, y compris un calendrier et des garanties sur les conditions de ces négociations, est également une source d’inquiétude pour Kinshasa. Le président Tshisekedi et son entourage ont exprimé des doutes concernant le bien-fondé et la transparence du processus proposé par Luanda. En l'absence de mécanismes de contrôle clairs, il est difficile pour la RDC de savoir ce qu'elle pourrait obtenir en retour et, par conséquent, ce qu’elle risque de perdre en termes de stabilité et de contrôle territorial.
La RDC avait jusqu’à présent misé sur un règlement régional du conflit, notamment à travers les mécanismes de la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC) et de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). En se tournant vers la médiation angolaise, Kinshasa pourrait voir ces démarches régionales diluées, au moment même où des discussions avec la SADC et l’EAC sont en cours. Le sommet prévu ce 13 mars pourrait devenir un point de divergence entre ceux qui privilégient des discussions avec des groupes armés et ceux qui optent pour une solution globale impliquant tous les acteurs régionaux. Ce manque d'unité pourrait, au final, être perçu comme une faiblesse de la diplomatie congolaise.
Accepter des négociations directes avec l'AFC-M23 pourrait sembler une démarche pragmatique pour tenter de résoudre une crise complexe. Toutefois, la RDC pourrait y perdre bien plus qu’elle ne gagnerait. En termes de légitimité, de souveraineté et de stabilité régionale, un tel choix comporte de nombreux risques. À moins que des garanties claires ne soient apportées sur le processus et ses objectifs, l’option de négocier avec l’AFC-M23 pourrait être perçue comme une concession à la violence et à l’ingérence étrangère, affaiblissant ainsi la position de la RDC tant sur le plan national qu’international. La prudence de Kinshasa face à cette initiative est donc compréhensible, et l'issue du processus devrait être scrutée de près dans les jours à venir.
Veritasinfo