Les voisins de la RD Congo divisés par l’élection de Félix Tshisekedi
Le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki, et le président de l'UA, le Rwandais Paul Kagamé.
D’abord suspicieuse des résultats de la présidentielle congolaise, l’Union africaine a renoncé à remettre en cause les résultats du scrutin après que plusieurs pays du continent ont reconnu Félix Tshisekedi comme président élu de la RD Congo.
Depuis le 20 janvier, la République démocratique du Congo (RDC) a officiellement un nouveau président élu. Félix Tshisekedi devrait prêter serment jeudi 24 janvier, succédant ainsi à Joseph Kabila, à la tête du pays depuis 18 ans. Mais la reconnaissance de sa victoire contestée s’est heurtée à la résistance du Rwanda, dont le président Paul Kagamé assure la présidence de l’Union africaine (UA) jusqu’en février.
Dans un communiqué émis le 17 janvier, à la suite d’une réunion organisée à l’initiative du chef de l’État rwandais dans la capitale éthiopienne Addis Abeba, des représentants de l’union avaient demandé la "suspension de la proclamation des résultats définitifs des élections" en RD Congo en raison des "doutes sérieux sur la conformité des résultats provisoires".
Plus tôt, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), qui rassemble 16 pays du sud et de l’est du continent, s’était, elle aussi, réunie à Addis Abeba pour les mêmes raisons. Quelques jours auparavant, elle avait réclamé un recomptage des voix.
Revers pour Kagamé
Convié à cette réunion, Joseph Kabila n’a pas honoré l’invitation, mais a envoyé, pour le représenter, Léonard She Okitundu, le vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères, Barnabé Kikaya Bin Karubi, son conseiller diplomatique, et Bene M’Poko, l’ambassadeur de la RD Congo à Pretoria. De son côté, la SADC a émis un communiqué bien moins sévère que les précédents, se contentant, jeudi, d'appeler les acteurs politiques congolais "à obtenir des réponses à leurs doléances électorales dans le respect de la Constitution (congolaise) et des lois électorales concernées".
L’UA avait prévu de se rendre à Kinshasa. Son président, Paul Kagamé, devait être accompagné du président de la Commission, le Tchadien Moussa Faki, mais aussi des chefs d'État sud-africain Cyril Ramaphosa, angolais Joao Lourenço, namibien Hage Geingob et tchadien Idriss Déby. Pour le président de l’UA, le coup de grâce survient dans la nuit de samedi à dimanche, lorsque la Cour constitutionnelle congolaise, prenant de cours la mission programmée le lundi, proclame la victoire définitive de Félix Tshisekedi.
Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, Paul Kagamé comptait laisser au président congolais sortant, Joseph Kabila, le choix entre un recomptage des voix, qui aurait certainement été favorable à Martin Fayulu, ou une nouvelle élection à laquelle ses grands rivaux Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi auraient cette fois-ci été autorisés à participer. Mise en difficulté par la proclamation de la Cour constitutionnelle, l’Union africaine a finalement "pris note", dimanche, des résultats définitifs annoncés et "reporté" sa mission en RD Congo. Les reconnaissances des pays de la région se sont alors succédé, laissant l’UA bien seule dans sa position.
Pretoria cherche la stabilité
Les présidents angolais Lourenco et sud-africain Ramaphosa s’entretenant avant le sommet de la SADC à Addis-Abeba
L’Afrique du Sud a été l’un des premiers pays à reconnaître la victoire de Félix Tshisekedi. Dans un communiqué publié le 20 janvier, le président Cyril Ramaphosa a demandé à "toutes les parties" d'accepter les résultats. Pour Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Ifri, contacté par France 24, la RD Congo aurait pu jouer la carte du projet du barrage d’Inga pour convaincre Pretoria d’apporter son soutien à Félix Tshisekedi. "Une promesse vieille de 20 ans", selon le chercheur, mais sur laquelle compte l’Afrique du Sud pour sa production d’énergie.
Dans l’objectif de ce projet de coopération avec la RD Congo, l’Afrique du Sud est particulièrement attachée à la stabilité politique de la région. "Je ne crois pas qu’on peut dire à ce stade qu’elle aurait eu une préférence pour Fayulu ou Tshisekedi. Mais elle avait intérêt à voir que ces élections ne se déroulent pas dans ce chaos qu’on est en train de voir maintenant", souligne Stéphanie Wolters, directrice de la division Paix et sécurité à l’ISS, l’Institut d’études de sécurité, un célèbre "think tank" sud-africain, interrogée par RFI.
Le projet de barrage Inga III, qui doit théoriquement prendre le relais des barrages Inga I (1972) et Inga II (1982) installés sur les rapides du fleuve Congo, dans la province du Kongo central (ouest), devrait procurer 2 500 mégawatts (MW) à l’Afrique du Sud. Pretoria s’est engagé en 2014 à acheter la moitié de la production électrique de l’édifice, ce qui représenterait un coût de 830 millions d’euros par an, selon une étude de l’université américaine Berkeley.
Une décision "prise sans consensus"
Les présidents burundais et tanzanien, dont les pays coopèrent avec Kinshasa dans la traque des rebelles, ont également reconnu et félicité le président élu congolais. En revanche, le Congo-Brazzaville, l'Ouganda, le Rwanda, la Zambie et l'Angola sont restés muets. Pour Thierry Vircoulon, le retournement de position de pays présents à la réunion de l’UA du 17 janvier, indique que la décision de suspendre l’annonce des résultats "a été prise probablement à la hâte et sans véritable consensus".
"[Au sein de l’Union africaine] il y a ceux qui poussaient justement pour plus de transparence, il y en a d’autres qui voulaient laisser les choses comme elles étaient", précise Stéphanie Wolters. L’élection de Félix Tshisekedi pourrait donc avoir ravivé les clivages historiques entre les neuf voisins de la RDC, État continent, grand comme 80 fois la Belgique. À la fin des années 1990, le pays a été ravagé par des guerres régionales qui ont parfois impliqué les armées de sept pays africains sur le sol congolais, dont le Rwanda. Plus d'un million de Rwandais hutus s'y étaient réfugiés en 1994 après le génocide.
France 24 avec AFP