Elections : l’Afrique dans tous ses Etats !/ Tu régneras mon fils!
Lors du 8e Festival de géopolitique de Grenoble qui s’est tenu du 16 au 19 mars sur le thème « Dynamiques africaines », plusieurs conférences, dont celle du professeur Christian Bouquet, ont porté sur la démocratie en Afrique. Etat des lieux.
Super Sunday en Afrique où cinq élections ont eu lieu dimanche. Le Sénégal a organisé un référendum sur la réduction du mandat présidentiel ; elle a faiblement mobilisé. Le Bénin et le Niger (avec un candidat hospitalisé à Paris) ont vécu leur deuxième tour de présidentielle. Les électeurs du Cap-Vert étaient appelés à voter pour les législatives et ceux de l’archipel de Zanzibar pour la présidentielle et les législatives après l’annulation du scrutin d’octobre. En tout, la moitié de 54 Etats africains auront renouvelé leur chef de l’Etat en 2015 et 2016 (17 scrutins cette année).
Le transfert du modèle démocratique occidental est un héritage récent. Beaucoup le font remonter au fameux Discours de la Baule de 1990 de François Mitterrand. « Ce discours est intervenu après les conférences nationales du Bénin et du Gabon, la même année, et surtout après la chute du roumain Ceaucescu en 1989, explique Francis Kpatindé, journaliste-enseignant à Sciences po. Ce dernier était un modèle pour bien des autocrates africains comme Mobutu. Beaucoup ont eu peur et décidé d’ouvrir le jeu. Le vent de l’histoire a continué à souffler avec l’annonce de Frederik De Klerk de mettre un terme au régime d’apartheid en 1991 ». Les conférences nationales ont alors abouti à un changement de constitution.
La démocratie est toutefois loin d’être parfaite. En Zambie, au Malawi, au Cameroun, au Rwanda, au Togo, au Gabon et en RD Congo, le scrutin présidentiel est uninominal à un seul tour, favorisant le candidat du pouvoir qui suscite des candidatures bienveillantes pour diviser une opposition ayant des difficultés à présenter un front uni et ne disposant pas des moyens de l’Etat. L’analyse de scrutins montre aussi que les candidats recueillent une majorité de suffrages dans leur fief. « Contrairement à l’Occident, les électeurs africains ont du mal à cerner les différences idéologiques entre les candidats. Leur vote est plus dicté par une approche ethno-régionale et l’adhésion à un leader », confie le professeur Christian Bouquet de l’Université Bordeaux-Montaigne.
Tu régneras mon fils. Dans plusieurs pays, le pouvoir se transmet – plus ou moins démocratiquement - de père en fils. Joseph Kabila (RD Congo) a hérité du trône de son père assassiné avant de se faire élire et réélire. Faure Gnassingbé (Togo) et Ali Bongo ont succédé, lors de scrutins contestés, à leurs pères décédés. L’arme pour rester au pouvoir est le référendum constitutionnel comme l’ont utilisé récemment Paul Kagamé et Denis Sassou Nguesso. « Paradoxalement, les autocrates changent la Loi fondamentale en recourant à une arme démocratique, poursuit Christian Bouquet (*). Mais les urbains s’y opposent parfois comme au Burkina alors que le vote des campagnes, plus légitimiste, aurait certainement permis le succès de la démarche ».
La société civile exerce une vigilance démocratique accrue avec l’utilisation des smartphones, égrenant les résultats au compte-gouttes. Encore faut-il avoir des représentants dans une majorité de bureaux de vote ou que les dirigeants ne coupent pas les communications comme le président congolais l’a fait dimanche. Nombre de scrutins sont encore entachés par la fraude. En l’absence de registre d’Etat civil fiable, l’actualisation du fichier électoral est laborieuse et onéreuse. Elle fait les bonnes affaires des sociétés de biométrie comme Morpho-Safran et Gemalto (France), Waymarck (Afrique du Sud) et Zetes (Belgique). Au Niger, situation inédite, des électeurs ont pu voter lors de la présidentielle sans pièce d’identité sur le simple témoignage de compatriotes.
Nombre d’autocrates n’acceptent pas in fine le verdict des urnes quand ils sont battus. Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) n’a pu accéder au pouvoir que par la force des armes, Morgan Tsvangiraï (Zimbabwe) et Raila Odinga (Kenya) ont dû se contenter d’un poste de Premier ministre en 2008, Robert Mugabe et Mwai Kibaki restant président. Pour Christian Bouquet, le recours au suffrage indirect permettrait de moins cliver les scrutins car un trop grand nombre tournent au drame post-électoral comme l’illustre un dessin du caricaturiste Glez. Une mère congolaise, tenant sous le bras son enfant et portant une calebasse sur la tête, s’esquive devant les médias. « Quel horrible fléau, fuyez-vous ? », lui demande un journaliste. Réponse de la dame apeurée : la démocratie !
Source : http://www.lopinion.fr