S’il vous plaît, la Francophonie n’est pas à vendre . Et même si elle pouvait être à vendre, l’acheteur ne devrait en aucun cas être le Rwanda, un pays d’abord non démocratique et qui n’est resté francophone que de nom . La Francophonie n’est pas non plus à sacrifier sur l’autel des intérêts politiques de la France.
Nous avons appris avec consternation que la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, pourrait devenir la prochaine présidente de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) [lors du XVIIe sommet de l’organisation les 11 et 12 octobre à Erevan en Arménie]. Et que sa candidature à ce poste serait soutenue par la France et quelques pays africains . Je m’oppose énergiquement à cette éventualité. Pas parce que c’est le Rwanda, “ennemi” intime de mon pays, le Congo [République démocratique du Congo], mais parce que l’OIF mérite mieux .
La Francophonie, un cadeau de Paris au Rwanda ?
La première chose qui m’énerve dans ce dossier est que le président français Emmanuel Macron voudrait soutenir la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo pour tenter de faire oublier les erreurs de l’armée française lors du génocide rwandais de 1994 . La Francophonie serait ainsi offerte comme un cadeau de Paris au pays des mille collines afin de normaliser leurs relations . Chose inacceptable ! Deuxième chose, il semble que les relations ne sont pas bonnes entre Emmanuel Macron et [la Canadienne] Michaëlle Jean , l’actuelle présidente de l’OIF. Dieu seul sait ce qu’ils se disputent.
Ce qui est vrai, c’est que Michaëlle Jean va se présenter pour un second mandat mais Macron voudrait lui régler ses comptes en soutenant la candidature d’une autre femme, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. C’est ni plus ni moins que de l’arbitraire, car tout le monde sait que la voix de la France pèse dans une élection comme celle de la Francophonie. J’aurais aimé que le président Macron réponde aux deux questions suivantes : le Rwanda est-il réellement un pays francophone ? Est-il un État de droit ? Bien sûr, les efforts économiques de Kigali sont tout à fait louables, mais ils ne peuvent remplacer la démocratie ! Je pense que l’OIF ne devrait pas ressembler à l’Union africaine, une organisation que n’importe quel dictateur africain a le droit de diriger.
Le Rwanda, plus anglophone que francophone
Qui ignore que le Rwanda n’est pas une démocratie ? Qui ne sait pas que des opposants croupissent en prison à Kigali et que d’autres sont en exil ? Quelle leçon le Rwanda peut-il donner aux pays francophones quand on sait que le président Kagame a changé la Constitution pour rester au pouvoir jusqu’en 2034 ? Quel média libre s’exprime au Rwanda ? Non, la Francophonie a besoin d’être dirigée par des nations démocratiques ou qui essaient de l’être , comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Burkina…
Parlons un peu de la “francophonité” du Rwanda. Ce pays était francophone jusqu’en novembre 2009…, année où le président Kagame l’a engagé dans le Commonwealth [organisation intergouvernementale d’anciens territoires de l’Empire britannique]. Il a choisi l’anglais comme langue officielle et de l’enseignement . Et vous voulez lui donner la Francophonie ! Kigali doit d’abord nous expliquer quel est cet intérêt soudain qu’il manifeste aujourd’hui pour l’OIF alors que tout est en anglais au Rwanda . Plus grave, Kigali doit accueillir le sommet du Commonwealth en 2020… Ainsi le Rwanda aurait la Francophonie à droite, le Commonwealth à gauche, l’Union africaine (UA) sur la tête… [Paul Kagame est le président en exercice de l’UA en 2018.]
Je pense que le roi Kagame ferait un peu mieux de revoir à la baisse les ambitions démesurées de son pays . Par ailleurs, honte à la République démocratique du Congo (RDC), le plus grand pays francophone en Afrique en termes de locuteurs du français, qui n’a même pas osé présenter un seul candidat toutes ces années à la Francophonie. De toute façon, le pays du président Kabila sait qu’il en est indigne en raison de sa mauvaise gouvernance sur tous les plans.
Romeo Muteba/courrierinternational.com