RDC : corruption, le mal congolais:"Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire!"
Alors que le journal Le Soir révèle un large système de corruption dans l’entourage du président Joseph Kabila, l’ONG Enough Project dénonce une « kleptocratie d’Etat » généralisée en République démocratique du Congo (RDC). Une corruption au service du pouvoir en place et au détriment des Congolais.
Corruption, prédation et répression semblent être plus que jamais les trois piliers du pouvoir en place à Kinshasa. Une corruption à tous les étages, du simple fonctionnaire jusqu’au sommet de l’Etat, une prédation des ressources naturelles au profit d’entreprises détenues par des proches du président congolais et une répression accrue des opposants politiques qui permet de pérenniser le camp présidentiel au pouvoir. Si ces mauvaises pratiques sont connues et documentées depuis plusieurs années au Congo, les dernières révélations fracassantes du quotidien belge Le Soir résonnent comme un coup de tonnerre à quelques semaines de la fin mouvementée du dernier mandat du Joseph Kabila.
Les journalistes Colette Braeckman et Xavier Counasse ont recueilli le témoignage de Jean-Jacques Lumumba, un ex-employé de la banque BGFI, proche du clan Kabila. L’ancien banquier a confié au Soir de nombreux documents compromettants prouvant des pratiques de corruption dans l’entourage du chef de l’Etat.
« Des chèques non justifiés à un rythme infernal »
Ce témoin de l’intérieur d’un système généralisé de corruption et de malversation a été le témoin de nombreuses irrégularités au sein de son établissement bancaire. Et notamment au détriment de la Commission électorale indépendante (CENI). Des pratiques d’autant plus révoltantes que la CENI a invoqué un manque de financement pour justifier le report de l’élection présidentielle prévue en novembre 2016, mais retardée d’au moins 18 mois. Selon les documents consultés par Le Soir, la CENI aurait obtenu un crédit de 25 millions de dollars auprès de la BGFI alors que la Commission « disposait de 55 millions sur un compte parallèle. »
La banque aurait alors prélevé en 5 mois « près de 3 millions de dollars d’intérêts et de commissions. » Où va l’argent, se demande le quotidien belge ? « Il s’agit de détournement de fond » explique Jean-Jacques Lumumba, petit-fils du célèbre Patrice, qui a également confié des extraits de comptes avec de « multiples retraits douteux allant jusqu’à 1,5 millions de dollars. Des chèques non justifiés qui se succèdent à un rythme infernal » dénonce l’ex-banquier.
30 millions de découvert autorisé
Au cœur de ce système de corruption, Jean-Jacques Lumumba accuse notamment Albert Yuma, président de la Gécamines, qui avait un découvert autorisé de 30 millions de dollars auprès de la BGFI ou encore Déogratias Mutombo Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo, qui pouvait difficilement refuser « un coup de pouce à une société dirigée par un frère du chef de l’Etat » selon Le Soir. Des détournements qui ont un goût particulièrement amer en pleine crise politique. Surtout qu’une autre enquête de l’ONG Enough Project dénonce une corruption généralisée au Congo. Une étude qui soutient « que le président Kabila et ses proches collaborateurs s’appuient dans une large mesure sur le vol, la violence et l’impunité pour rester au pouvoir, au détriment du développement du pays. »
S’enrichir pour conserver le pouvoir
L’enquête menée par Sasha Lezhnev, Pierre Englebert et H. Russell Smith dénonce, depuis le règne du roi Léopold jusqu’à Joseph Kabila, en passant par Mobutu et Kabila père, « les sept piliers de cette kleptocratie violente. » Mobutu avait l’habitude de dire : « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire. » Afin ne pas être renversé par la force, explique Enough Project, le pouvoir autorise les militaires à s’enrichir par l’exploitation des ressources naturelles et le rançonnement des populations, alimentant ainsi les cycles de conflit. Si ces élites quittent le pouvoir, note également l’enquête, « les cercles associées au régime courent le risque de perdre leurs biens mal acquis et l’immunité qui les place à l’abri de poursuites judiciaires. Les mouvements pro-démocratie sont dès lors réprimés, souvent par la violence, car ils représentent une menace pour le système corrompu. »
« 4 milliards volatilisés »
Enough Project a également tenté de mesurer le poids de la corruption au Congo. Les pots-de-vin ou « rapportage » se traduiraient par une pression fiscale « informelle » de près de 55% sur les citoyens congolais. Pendant le mandat de Joseph Kabila « jusqu’à 4 milliards de dollars par an se sont volatilisés ou ont été volés du fait de manipulations des contrats miniers, des budgets et des actifs de l’Etat. » Dans une récente affaire, un hedge fund américain, Och-Ziff, a affirmé que certains de ses partenaires commerciaux, parmi lesquels l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, « avait versé plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires congolais en échange de l’obtention de concessions minières d’une valeur de plusieurs milliards de dollars à des prix très bas. »
Des mauvaises pratiques d’autant plus choquantes que l’aide internationale s’élève à 2,6 milliards de dollars par an et que l’on présente le plus souvent la RDC comme « un Etat failli ». Selon l’ONG, c’est le pouvoir en place à Kinshasa qui a affaibli les services de l’Etat avec la volonté de perdurer. Dernier exemple édifiant cité par Enough Project : alors que le cabinet de Joseph Kabila a reçu en 2015 près de trois fois le montant du budget prévu (88 millions de dollars), la Commission électorale (CENI), elle, n’a perçu qu’un tiers de son budget, soit 69 millions de dollars.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia