Rwanda : Enfermer les pauvres
Les autorités rwandaises arrêtent des personnes pauvres et les détiennent arbitrairement dans des « centres de transit » à travers le pays. Les conditions dans ces centres sont rudes et inhumaines, et les passages à tabac y sont fréquents. De nouvelles recherches indiquent que les autorités ont apporté peu de changements dans un centre à Gikondo, situé dans la capitale, Kigali, malgré un précédent rapport de Human Rights Watch sur les abus commis dans ce centre, et que des traitements dégradants similaires sont courants dans d’autres centres de transit.
De nouvelles recherches menées par Human Rights Watch en 2016 ont permis de constater que des dizaines de personnes, y compris des sans-abri, des vendeurs ambulants, des enfants des rues et d’autres personnes pauvres, sont arrêtées dans les rues et détenues dans des « centres de transit » ou des « centres de réhabilitation » pendant des périodes prolongées. Les détenus y manquent de nourriture, d’eau et de soins médicaux appropriés, subissent des passages à tabac fréquents et sortent rarement des pièces sales et surpeuplées où ils sont confinés. Aucun des anciens détenus interrogés par Human Rights Watch n’avait été officiellement inculpé d’un délit, et aucun d’entre eux n’avait vu un procureur, un juge ou un avocat avant ou pendant sa détention.
« Le gouvernement rwandais devrait fermer ces centres de détention illégaux et fournir à leur place une formation professionnelle volontaire, une aide et une protection aux personnes vulnérables », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Enfermer des personnes démunies dans des conditions rudes et dégradantes et les brutaliser ne mettra pas fin à leur pauvreté, et cela viole à la fois le droit rwandais et le droit international. »
Suite à son rapport de septembre 2015 sur les abus perpétrés dans le centre de transit de Gikondo, Human Rights Watch a interrogé 43 anciens détenus de Gikondo et de trois centres de transit dans d’autres régions du Rwanda, situés à Muhanga (district de Muhanga), à Mbazi (district de Huye) et à Mudende (district de Rubavu). La plupart des entretiens ont eu lieu en 2016. Contrairement à ce que laisseraient entendre les noms de ces centres, aucune des personnes interrogées n’a « transité » vers d’autres établissements après sa dernière arrestation, et la majorité n’a bénéficié d’aucune « réhabilitation », telle qu’une formation professionnelle ou une éducation, dans les centres.
« Ils nous corrigent à coups de bâtons », a expliqué un homme à Human Rights Watch.
En novembre, un peu plus d’un mois après la publication du précédent rapport de Human Rights Watch à ce sujet, le Conseil de la Ville de Kigali a publié une nouvelle directive réglementant le centre de Gikondo, créant pour la première fois un cadre juridique spécifique. La directive comprend des dispositions pour l’amélioration des conditions et l’octroi de certains droits, mais elle laisse la porte ouverte à la poursuite des détentions arbitraires et de longue durée.
Bon nombre d’aspects de la directive n’ont toutefois pas été mis en œuvre, et la situation à Gikondo ne s’est pas significativement améliorée depuis 2015, a constaté Human Rights Watch. Alors que certains anciens détenus ont décrit des ajustements mineurs au niveau de l’infrastructure et de la mise à disposition de certaines activités, le centre était toujours surpeuplé, avec des conditions déplorables. Les arrestations et les détentions étaient arbitraires et illégales, et des agents de police frappaient les détenus.
Les constats issus des nouvelles recherches menées par Human Rights Watch sur quatre centres – sur au moins 28 dans tout le pays – sont remarquablement similaires. La police ou d’autres groupes chargés de la sécurité ont arrêté des mendiants, des vendeurs ambulants ou des petits délinquants, essentiellement dans les zones urbaines, et les ont enfermés dans des centres de transit sales et surpeuplés. La plupart des détenus dans ces quatre centres n’étaient pas autorisés à sortir de leur pièce, sauf pour aller aux toilettes, seulement deux fois par jour. Dans la plupart des cas, la nourriture se limitait à une tasse de maïs par jour, et plusieurs anciens détenus se sont plaints du manque d’eau potable et de l’impossibilité de se laver.
De nombreux anciens détenus ont signalé avoir été battus. À Gikondo et à Muhanga, presque toutes les personnes interrogées ont raconté qu’elles étaient battues par des policiers ou par d’autres détenus, souvent avec des bâtons. Deux adultes détenus dans le centre de Mbazi, près de la ville de Huye, dans le sud du Rwanda, ont expliqué qu’ils ont été battus dès leur arrivée. « Chaque jour, nous avons le ‘droit’ d’être battus deux fois : le matin et le soir », a raconté à Human Rights Watch un ancien détenu du centre de transit de Mudende. « C’est notre ‘droit’ ». La situation à Mudende, à proximité de la ville de Rubavu dans le nord-ouest du Rwanda, était particulièrement grave ; des agents de police, des militaires ou d’autres détenus y battaient les détenus au quotidien. Dès que les détenus arrivaient, des agents de police les frappaient tout en les forçant à ramper sur le sol jusqu’à la pièce où ils seraient enfermés.
Human Rights Watch a recueilli des informations selon lesquelles plusieurs personnes sont décédées pendant ou juste après leur détention à Mudende, d’après certains témoignages suite à une conjonction de blessures liées aux passages à tabac, de mauvaises conditions et de manque de soins médicaux. Human Rights Watch a transmis des informations sur l’un de ces cas au ministère de la Justice, qui a exprimé sa volonté de mener une enquête approfondie sur les allégations. Human Rights Watch a mené des entretiens avec 13 enfants âgés de 10 à 18 ans qui avaient été détenus à Muhanga et à Mbazi entre juin 2015 et mai 2016. La plupart ont dit qu’ils étaient des enfants des rues.
À Muhanga, les enfants étaient détenus dans le même bâtiment que les adultes. À Mbazi, ils étaient enfermés dans un bâtiment séparé, dans des conditions légèrement meilleures que celles des adultes, mais sans hygiène appropriée ni accès à l’éducation. Plusieurs anciens détenus de Mudende et de Gikondo ont affirmé qu’ils avaient aussi vu des enfants dans ces centres, allant de nourrissons détenus avec leur mère à des enfants ayant jusqu’à 18 ans. Plusieurs anciens détenus ont indiqué que des enfants étaient battus à Gikondo et à Muhanga.
Source : www.hrw.org