Haro sur le liberticide/ Journalistes indépendants : Espèce en voie de disparition au Rwanda ?

Publié le par veritas

  

 [Mémorandum des journalistes exilés sur la répression tolérée par la Communauté internationale au Rwanda]

  

NkusiEn cette occasion de la 18e célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse qui coïncide avec la 17e commémoration du génocide rwandais, il convient de porter un regard critique sur cet événement tragique et de rendre hommage aux confrères tués par des régimes liberticides. Il convient également d’analyser l’état présent des médias et l’attitude du pouvoir vis-à-vis de l’exercice du droit d’expression au Rwanda au moment où un autre courant révolutionnaire est en train de gagner toutes les couches sociales.

Dans l’esprit et la lettre de la Déclaration de Windhoek, de laquelle émane la Journée mondiale de la liberté de presse, l’on est gagé de « l'établissement, le maintien et la promotion d'une presse pluraliste, libre et indépendante » en mettant l'accent sur l'importance d'une presse libre pour le développement et la préservation de la démocratie au sein d'un État, ainsi que pour le développement économique.

Le Rwanda vient, pour la énième fois, d’être classé parmi les pires Etats prédateurs de la liberté de la presse par l’organisme Reporter Sans Frontières. Et les faits constatés à longueur d’années ne font que craindre le pire. La logique contre-révolutionnaire du régime FPR use de répression excessive sur les journalistes critiques jusqu’à l’acte extrême de leur élimination physique.

 

Cri d’alarme :

C’est pour nous un devoir de citoyen et de journaliste d’interpeller, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, les instances onusiennes, la Communauté européenne, l’Eglise ainsi que les organisations internationales préoccupées par la répression excessive exercée par le Gouvernement rwandais sur les journalistes et la situation de la presse, en général, au Rwanda.

C’est une réalité avérée qu’au Rwanda les journalistes qui ne chantent pas les louanges du gouvernement dirigé par le Front patriotique rwandais (FPR), le parti du général Paul Kagame, sont régulièrement malmenés, persécutés, envoyés en prison ou simplement tués, au moment où leurs familles subissent des pressions. Ils sont tous cibles de la police et du service militaire de renseignement. Certains ont dû par le prix fort pour avoir opposé un refus catégorique aux injonctions du régime de se mettre à son diapason. D’autres ont écopé de la prison, tandis que nombreux ont été forcés à l’exil.

Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Pour museler complètement la presse le gouvernement du Rwanda a toujours recouru à la diabolisation des journalistes et des politiciens de l’opposition ainsi qu’aux mensonges grossiers en vue de s’attirer la sympathie de la communauté internationale. Les victimes de la politique liberticide sont littéralement accusées d’être des ennemis du pays ayant des intentions d’inciter

la population, à la désobéissance civile et à la révolte. Le gouvernement les accuse de semer le divisionnisme et d’attiser la haine ethnique, crime actuellement à la mode appelé « idéologie du génocide ». Tout cela dans un seul but bien précis et pensé: salir la réputation des journalistes, dénigrer leur personnalité et professionnalisme ainsi que leur engagement citoyen.

En se lançant dans cette salle besogne de salissage, le gouvernement rwandais cherche toujours tous les moyens et prétextes afin de pouvoir clouer et traîner devant la justice ceux qui n’acceptent pas de se modeler sur sa politique dictatoriale. Ainsi toute personne qui ne partage pas le point de vue du FPR est faussement et irrévocablement accusée de divisionnisme ethnique. Le régime de Kigali prête cyniquement aux journalistes critiques l’intention de « servir consciemment de boucliers pour opposants politiques », ces derniers étant à leur tour taxés de collaborer avec les organisations terroristes. Cette situation est bien illustrée par la récente condamnation in absentia du journaliste Jean Bosco Gasasira du bimensuel Umuvugizi (présentement en exil) à dix ans de prison ferme et celle d’Agnès Uwimana Nkusi et sa collaboratrice Saidath Mukakibibi du bimensuel Umurabyo (toutes deux présentement en détention) qui ont respectivement écopé de dix-sept et sept ans de prison. En plus, les procès intentés par le Haut conseil de la presse du Rwanda [instrument de censure] contre les journaux Umuseso et Umuvugizi et qui ont abouti au bannissement des deux publications très populaires à l’approche des élections présidentielles d’août 2010 démontrent clairement les velléités obscurantistes du régime de Kigali.

 

De mal en pis :

Depuis la prise du pouvoir par le FPR en 1994, à aujourd’hui, au moins une vingtaine de journalistes ont été tués ou portés disparus, plus d’une trentaine forcés à s’exiler, sans évidemment parler des arrestations et d’emprisonnements pour délits de presse. Parmi les journalistes exilés il y a encore ceux qui, sur le continent africain, ne bénéficient pas de protection et qui continuent de subir des harcèlements de la part des agents du FPR.

A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de presse, nos pensées sont portées à une cinquantaine de confrères journalistes tués en 1994 pendant le génocide, victimes d’un régime suranné qui cherchait désespérément à se maintenir en place, à tout prix. Nous constatons cependant avec consternation que le nouveau régime s’est livré allègrement à la violation des droits de la personne en général et des journalistes en particulier, au même degré ou presque que son prédécesseur. Nous nous associons dans la douleur aux familles des journalistes tués par le régime du FPR et qui ne font l’objet d’aucune mention au cours des cérémonies de commémoration ni au Rwanda, ni à l’étranger :

-Jean-Léonard Rugambage, alias Cherif de l’Hebdomadaire Umuvugizi, abattu à son domicile, le 25 juin 2010 ;

-J.M.V. Hategekimana de l’Hebdomadaire gouvernemental Imvaho assassiné dans la nuit du 11 au 12 mars 2002 ;

-Détenue dans des conditions dégradantes alors qu’elle souffrait de diabète, Hélène Nyirabikari est morte en prison en l’an 2000

-Emmanuel Munyemanzi, chef du service de production à la Télévision rwandaise, assassiné le 5 mai 1998 ;

-Apollon Hakizimana, directeur de l’hebdomadaire Umuravumba, abattu le 27 avril 1997 ;

-Manassé Mugabo, ancien responsable de la section Kinyarwanda à Radio-Rwanda, assassiné le 19 août 1995.

Nous ne pouvons pas passer sous silence l’agression quasi fatale qu’un commando du FPR a menée contre le journaliste Edouard Mutsinzi le 29 janvier 1995 au lendemain de la prise de Kigali par le FPR. L’attaque a laissé le directeur du journal Le Messager-Intumwa pour mort, et jusqu’aujourd’hui il n’est pas encore intellectuellement réhabilité dans son exil européen. Monsieur Edouard Mutsinzi est reconnu premier journaliste victime de la censure sous le régime FPR.

Notre pensée va également à ceux et celles qui, à cause de leur refus d’être des chantres du pouvoir militaro-dictatorial, croupissent actuellement sous les verrous dans les prisons à Kigali ou ailleurs dans les provinces du Rwanda. Il s’agit de :

-Agnès Uwimana Nkusi, directrice du bimensuel Umurabyo, condamnée le 4 février 2011 à dix-sept ans de prison ferme (NDL :voir sa photo au dessus) ;

-Saidath Mukakibibi, journaliste collaboratrice du même bimensuel Umurabyo condamnée le 4 février 2011 à sept ans de prison ferme ( NDL: voir sur la photo en haut devant Agnès Uwimana Nkusi) ;

-Joseph Habyarimana du journal Indorerwamo, arrêté et mis en prison le 28 octobre 1997.

-Ladislas Parmehutu, arrêté et mis en prison en 1996

-Gédéon Mushimiyimana de la Télévision Rwandaise, arrêté et mis en prison en 1996

-Télésphore Nyirimanzi, ancien chef de service de Radio Rwanda, arrêté et mis en prison en 2000.

-Détenu pendant 14 ans, Dominique Makeli était libéré en octobre 2008. L’ancien animateur à la radio Rwanda a dû s’exiler pour échapper de peu à une autre arrestation, et les agents du régime l’ont suivi jusqu’en Ouganda où ils ont tenté de l’enlever.

 

Appel à la responsabilité :

La situation calamiteuse dans laquelle s’exercice le métier de journaliste au Rwanda mérite une attention de la Communauté internationale. Les organismes de défense des droits de la personne et de la presse n’ont pas cessé de dénoncer l’autoritarisme et le « prédatisme » dans le chef du régime qui tolère mal la critique, curieusement c’est un régime qui entretient de bonnes relations avec le monde occidental. Les pays et organismes occidentaux, principaux bailleurs de fond du gouvernement rwandais, devraient adopter une attitude contraignante et engager le Rwanda sur la voie démocratique. Car, aujourd’hui comme hier, le pouvoir militaro-dictatorial cherche à domestiquer la presse et à étouffer toute voix critique à son égard aussi bien que contrecarrer les investigations. Ces mécanismes relativement moins observables sous l’ancien régime sont aujourd’hui très systématiques et méthodiques. Le nombre de journaux bannis au Rwanda et de journalistes réfugiés qui ne cesse de grossir est révélateur et cela est très inquiétant.

En tant qu’anciens journalistes de la presse indépendante rwandaise, au nom de la Déclaration de Windhoek, nous en appelons au gouvernement rwandais de se ressaisir et de laisser les journalistes, tant de la presse privé que de la presse publique, exercer leur métier en toute indépendance sans être inquiétés. Nous lui demandons de garantir et d’assurer leur sécurité mais aussi de leur offrir un climat paisible dans lequel ils puissent exercer et remplir aisément leur tâche d’informer la population. Le peuple rwandais en a marre de l’information « livrée sur mesure », les journalistes en ont marre de travailler dans la terreur, et nous supposons que les bailleurs de fonds occidentaux en ont également marre de financer une dictature liberticide.

Le Rwanda a perdu son vrai visage. Son image continue d’être affreuse tant au niveau national qu’international, en matière des droits de la personne en général, mais plus particulièrement en matière de liberté d’expression et d’opinion. Le régime de terreur et de répression qui sévit au Rwanda tient la population en otage, et les journalistes [tant locaux qu’étrangers] doivent s’autocensurer pour gagner leur pain et avoir la vie sauve, cela dans une république qui se proclame indépendante et démocratique.

Le courant révolutionnaire qui souffle présentement sur le Rwanda découle des aspirations modernes des filles et fils d’une nation longtemps meurtrie par des régimes abrutis. Ces citoyens et citoyennes ont la ferme volonté de réaliser un rêve, qui est celui d’un Rwanda uni et réconcilié. La tolérance politique et le dialogue franc et sincère sont le nouveau mot d’ordre de ceux qui veulent le changement. De manière particulière, notre combat consiste à plaider pour la libération de nos confrères journalistes détenus, mais aussi de tous les prisonniers d’opinions dont l’ancien confrère Déo Mushayidi, Charles Ntakirutinka, Bernard Ntaganda, Victoire Ingabire, Théoneste Niyitegeka et des centaines d’autres aujourd’hui croupissant dans des geôles et privés de leur liberté à cause de leurs idées.

 

L’imparfait du futur :

La liberté d’expression et d’opinion est constitutionnellement garantie au Rwanda mais la critique, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, est prohibée dans le système du FPR. Dans un souci de se protéger et d’occulter ses forfaits, le parti au pouvoir depuis déjà dix-sept ans astreint les journalistes, tant locaux qu’étrangers, à des options qui leur semblent sécuritaires, c’est-à-dire en évitant délibérément certains sujets qui fâchent.

En forçant les professionnels des médias à appliquer l’autocensure, le régime de Kigali sait pertinemment qu’il ne promeut pas la liberté de la presse mais qu’il la réprime. Une liberté de la presse reconnue officiellement, compromise et réprimée officieusement. A cette hypocrisie s’ajoute l’avidité des médias internationaux qui succombent à la corruption du régime rwandais en publiant des publi-reportages de complaisance. Au Rwanda, la théorie et la pratique en matière des droits et des libertés forment un beau couple de contrariétés, la grande question du moment étant « jusqu’à quand ? ».

 

Où va-t-on finalement ?

Depuis l’arrivée du Front Patriotique Rwandais (FPR) au pouvoir, il y a 17 ans, les Rwandais ont continuellement eu une liberté en moins. Depuis la mise en place du

gouvernement dit « Gouvernement d’union nationale » le 19 juillet 1994 qui, après la bénédiction de l’ONU et de la communauté internationale, s’est vite transformé en une dictature militaire, les Rwandais ne peuvent plus s’exprimer publiquement sur les grandes questions du pays ni critiquer ouvertement le pouvoir ou oser mettre en question la manière dont ils sont gouvernés.

Pris en otage par un groupe militaire avare de pouvoir, ils sont aujourd’hui acculés à chanter uniquement les louanges du régime. Quant aux journalistes critiques et aux opposants politiques, ils sont sommés de se confesser et de dénoncer publiquement leurs complices, réels ou supposés par le régime. C’est le principe de la pensée unique chère aux régimes autoritaires. Comparativement au régime précédent du général Juvénal Habyarimana, nombre d’observateurs affirment que rien n’a changé en matière de droits et des libertés.

Où va-t-on ? La dérive autiste du régime répressif a atteint aujourd’hui son comble : confiscation des libertés, des droits sociaux, politiques et économiques. Tolérance zéro du régime. Le vrai visage du FPR a dernièrement été découvert quand certains « insiders » de cette organisation ont mis à la face du monde son caractère mafieux, dénonçant une clique qui a pris le Rwanda en otage grâce au jeu pernicieux de « diviser pour régner ». Le peuple rwandais est aujourd’hui le dos contre le mur. Mais tout n’est pas perdu. Comme cela est en train d’arriver aux autres régimes corrompus, au Maghreb et au Moyen Orient, il est évident que le vent de la démocratisation ne pourra pas épargner le Rwanda du général Kagame.

 

Tout le monde a été touché :

Le silence a longtemps privilégié le régime injuste du FPR aux dépens de tout un peuple. Profitant de ce silence « complice » une clique a cogné sur les journalistes, l’un après l’autre, les organisations de la société civile, l’une après l’autre, les confessions religieuses, les partis politiques voire les membres mêmes du FPR ! Ici s’applique la belle anecdote de Martin Niemöller [" Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je n’étais pas communiste..."]

Tout le monde à ses marques, c’est l’heure du départ pour exiger ensemble au régime du FPR de rendre compte et de rendre public les prétendues enquêtes sur les persécutions, assassinats et disparitions des journalistes. S’étant avéré que personne n’est épargné par la répression meurtrière du régime, y a-t-il encore au monde une âme prête à souscrire à la politique sectaire du FPR? Le moment est à unir les forces contre un régime qui fait fi des revendications légitimes du peuple et qui en bafoue les droits les plus élémentaires et les plus inaliénables. La liberté d’expression, c’est la plus fondamentale des libertés car c’est par elle que l’individu concrétise totalement son épanouissement tant physique que moral. Il est temps de faire de la liberté d’expression un bien commun précieux que nous devons défendre en commun.

La balle est maintenant dans le camp des gouvernements occidentaux, des organes onusiens et des organisations internationales qui ont longtemps soutenu, de façon aveugle, un régime hypocrite dont les méfaits documentés dépassent l’imaginable. La soif du peuple rwandais de se libérer, le succès des scénarios tunisien et égyptien ainsi que l’accompagnement offert par la Communauté internationale aux peuples en révolution inspirent la confiance aux militants des droits au pays des mille collines. La Communauté internationale doit sortir de son mutisme et signifier clairement son

impatience au régime du président Kagame quant aux attentes démocratiques longtemps et ostensiblement déçues [sous le couvert d’elle-même]. Nous ne voulons pas être les prophètes du malheur ! Nous ne faisons que formuler notre constat de la crise-démocratique et institutionnelle- traversée par la société. Nous en appelons donc à l’Organisation des Nations Unies, à l’Union européennes, à tous les pays et organisations internationales qui, de près ou de loin, aident militairement ou financièrement le gouvernement rwandais à l’exiger de déverrouiller dans les meilleurs délais tous les rouages de l’espace d’expression et d’opinion. Car, à force de redoubler de la répression contre journalistes et autres critiques, le régime redouble par ricochet le mécontentement du peuple qui fin des fins devra crier « stop! Assez, c’est assez! »

 

Ismail Mbonigaba

Tharcisse Semana

 

[Les auteurs sont d’anciens journalistes du journal UMUSESO, banni par le régime de Kigali en 2010]

 

Tharcisse SEMANA                                    Ismaïl MBONIGABA

Rue du Stand 6B                                             15 B, Chemin du Bord-de-l’Eau

3960 Sierre/SUISSE                                      Fort-Coulonge,J0X1V0 Québec CANADA

+41(0)79 79 97 217                                        +1 613 796-6038

semanasuisse@yahoo.fr                               mbonigaba@gmail.com

 

 

 

CC :

 

S.E. Secrétaire général des Nations Unies,

Communauté Européenne,

Ambassades et représentations diplomatiques (toutes) présentes à Kigali,

Organisations nationales et internationales indépendantes oeuvrant aux Rwanda,

Leaders rwandais des différentes formations politiques,

Eglise catholique et autres confessions religieuses présentes au Rwanda

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