Burkina : « un message très clair aux dirigeants africains »
Au Burkina Faso, Blaise Compaoré a annoncé sa démission et semble avoir quitté le pays en début d’après-midi. Le chef d’état-major des armées, Honoré Traoré, a annoncé vendredi en début d’après-midi assumer désormais les fonctions de chef de l’Etat. Florent Geel est responsable du bureau Afrique de Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Il est l'invité de RFI à la mi-journée.
Seuls les Burkinabè doivent aujourd’hui régler leurs problèmes ? Ne faut-il pas un médiateur ?
Florent Geel : Il faut de toute façon qu’une solution émerge, une solution d’un pouvoir civil éventuellement garanti par l’armée. Mais on a vu récemment sur le continent, au Mali ou en Guinée il y a quelques années, que les transitions militaires ou les coups d’Etat militaires ne sont pas des solutions et qu’à terme ça provoque toujours des bains de sang : le massacre du 28 septembre en Guinée, les crimes commis par la junte par le général Sanogo au Mali…
Donc, en règle générale, la solution militaire n’est pas forcément la meilleure des solutions à moyen terme et encore moins à long terme. Il semble se dégager, ce matin, une solution dans laquelle les civils sont en avant et garantie par l’armée. Si une médiation internationale vient renforcer cet accord burkinabé, pourquoi pas. Si cette médiation internationale est là uniquement pour sauver les meubles et garantir les intérêts du camp présidentiel, qui manifestement est aujourd’hui totalement décrédibilisé, effectivement le peuple burkinabé ne l’acceptera pas. Et il le démontre encore en ce moment en étant massivement dans les rues.
Une déclaration de l’armée place de la Nation à Ouagadougou est encore attendue. Mais le général Traoré, chef d’état-major qui accompagnerait le processus démocratique est une solution qui pourrait vous convenir ?
Il faut d’abord qu’elle convienne aux Burkinabè. Ce que la FIDH rappelle avec ces organisations membres au Burkina, le MBDHP notamment et les organisations de la société civile, c’est que les pouvoirs militaires ne sont jamais une solution. Donc le général Traoré, toute bonne personne qu’il peut être, ne sera pas à lui seul la solution. C’est un pouvoir civil, c’est éventuellement un gouvernement d’union nationale, ce que décideront les Burkinabè.
L’organisation d’élections rapides doit se faire dans la transparence, ainsi qu’en accord avec l’ensemble des partis. Et donc, il est probablement beaucoup plus logique et légitime que les partis politiques et la société civile puissent participer à un gouvernement de transition, d’union nationale quelle que soit la forme. C’est la garantie des principes qui doit prévaloir, plutôt qu’une solution militaire.
Il faudra des élections prochainement, car il n’y a plus de Parlement ni d’Assemblée nationale – ils ont été dissous. Novembre 2015 était la date prévue de la prochaine élection présidentielle. Pour vous est-ce trop tard ?
A mon sens oui, dans la mesure où la question qui doit guider maintenant le calendrier, me semble-t-il, est : en combien de temps peut-on organiser des élections crédibles, transparentes, dans lesquelles tous les partis peuvent avoir des chances équitables, y compris d’ailleurs le parti présidentiel ? Il faut aussi que les choses s’apaisent pour éviter qu’il n’y ait un plus grand nombre de victimes. On estime en ce moment leur nombre à 30, même si ce chiffre n’est pas aujourd’hui confirmé. Il faut que le sang arrête de couler dans les rues et pour ça il faut évidemment avoir une solution politique qui permette de mettre en place un agenda politique crédible.
Les élections au Burkina Faso nécessitent une certaine révision des listes électorales. Il y a un certain nombre de cartes d’identité aussi qui ont déjà été réalisées. Il faut revoir le processus. Cela peut prendre quelques mois, mais je pense qu’on peut le faire plus rapidement qu’en douze mois. Il faut se méfier des transitions qui sont trop longues et dans lesquelles les appétits politiques de ceux qui sont au pouvoir peuvent se déclencher. C’est la raison pour laquelle peut-être aussi ce gouvernement de transition ne doit pas forcément être composé de personnes qui se présenteront aux élections. C’est souvent ainsi que l’on a réussi à avoir des sorties de crises crédibles.
Vous évoquez le futur de l’actuel parti présidentiel. Quel doit être, selon vous, celui du président Compaoré dorénavant ?
Je crois que c’est à lui de le décider. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la nation burkinabè a clairement défini son choix. Dans la vie de certains hommes politiques, il faut savoir se retirer. Et c’est peut-être ce choix-là qu’aujourd’hui Blaise Compaoré doit faire en tout état de cause.
L’enseignement qu’il faut tirer de ce mouvement est double. Premièrement, je pense que Blaise Compaoré aurait pu amorcer une transition il y a quelques années en douceur, permettant pour lui de se retirer du pouvoir. Il a voulu passer en force et il en paie aujourd’hui le prix fort. C’est un signal fort pour les prochaines élections puisqu’en 2014 et 2016 il va y avoir 52 élections sur le continent africain dont 25 élections présidentielles dans 27 pays d’Afrique, c’est énorme – et c’est un signal fort pour tous ceux qui souhaiteraient passer en force. Il y en a un certain nombre. Je pense à la RDC, au Congo ou d’autres pays.
C’est un signal fort à ces dirigeants africains sur le fait que l’Afrique a changé. On ne peut plus s’imposer ou conserver le pouvoir pour ses propres intérêts. Il faut tenir compte maintenant des peuples, de la société civile et des citoyens. C’est la raison pour laquelle nous lançons une grande campagne de coalition qui s’intitule « Mon vote doit compter » et qui tend à mobiliser ces sociétés africaines, en solidarité pour les différents peuples, pour se préparer à ces échéances électorales cruciales.
Ce soulèvement au Burkina est-il un soulèvement d’une partie de l’Afrique ?
Les Burkinabè portent très clairement les espoirs de grandes parties de peuples africains qui entendent aujourd’hui en 2014, dire que l’Afrique a changé et que leur vote doit effectivement compter. On ne peut plus leur imposer des dirigeants qu’ils n’ont pas librement choisis et affirment ainsi que cet événement démocratique, sans être un printemps démocratique, est une maturité de l’Afrique. Il doit accompagner un réel développement que les Africains dans toutes leurs diversités attendent, souhaitent et veulent construire.
Ceci passe par un minimum de pouvoirs, de contre-pouvoirs, d’une presse libre et indépendante, d’une société civile qui peut s’exprimer… Il y a donc de très nombreux enjeux sur le continent africain aujourd’hui et ce qui se passe au Burkina est un message très clair aux dirigeants africains affirmant qu’aujourd’hui tout n’est plus possible.
RFI