RWANDA: DES POLITIQUES ECONOMIQUES ET DES MESURES GOUVERNEMENTALES DISCRIMINATOIRES

Publié le par veritas

 

Même si le gouvernement rwandais se défend de pratiquer de la discrimination ethnique, il fait tout pour que le pouvoir, la richesse et l’éducation soient le monopole de la minorité Tutsi. En appliquant des méthodes subtiles basées sur les caractéristiques de la société rwandaise post 1994 et sur l’exploitation du génocide, le gouvernement du FPR parvient à maintenir les Hutu majoritaires dans la pauvreté.

En effet, alors qu’avant 1994 les rwandais s’identifiaient notamment par leurs origines ethniques et régionales, actuellement l’identité d’un rwandais revêt essentiellement trois dimensions : l’appartenance ethnique (Hutu, Tutsi, Twa), la dimension linguistique (francophone versus anglophone) et le statut avant 1994 (réfugié versus à l’intérieur du Rwanda). Cependant, le croisement des diverses catégories dégage un autre constat : alors que l’on peut trouver des Tutsi dans toutes les catégories, (francophones, anglophones, anciens réfugiés, à l’intérieur du Rwanda en 1994), la presque totalité des adultes Hutu vivaient à l’intérieur du Rwanda avant 1994 et son élite est francophone.

Lorsque l’on ajoute à ce tableau le fait que les Hutu représentent 84% de la population rwandaise, qu’ils sont majoritaires dans les zones rurales et que seuls les Tutsi qui

vivaient à l’intérieur du Rwanda en 1994 sont considérés comme des rescapés, l’on constate que, non seulement les politiques du gouvernement actuel en matière agricole, linguistique et au niveau de la protection des groupes vulnérables renforcent les inégalités, mais aussi qu’elles ne sont pas neutres au sujet de la question ethnique.

Certaines de ces mesures et leurs conséquences sont les suivantes :

 

1.  Le sous-financement de l’agriculture

Alors que l’économie Rwandaise est essentiellement basée sur l’agriculture qui occupe 80% de la main d’œuvre et génère 42% du Produit intérieur brut (PIB), le secteur agricole ne reçoit que 3% du budget du gouvernement rwandais, soit très loin des 10% recommandés par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les investissements publics au Rwanda sont visiblement refusés à la majorité de la population et orientés vers ceux qui aident le gouvernement à se maintenir au pouvoir.

 

2.  La non-assistance des rescapés Hutu

La guerre qui s’est déroulée au Rwanda depuis 1990 et s’est par la suite déplacée en RDC a mené à la perpétration de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide, a fait des centaines de milliers de victimes dans toutes les composantes de la population rwandaise et a laissé de nombreuses personnes complètement démunies. En 1998, le gouvernement rwandais a mis sur pieds le Fonds d'Assistance aux Rescapés du Génocide (FARG), destiné à permettre aux rescapés du génocide d’avoir accès à l’éducation, aux soins de santé et au logement. Cependant, étant donné que le gouvernement rwandais considère que les victimes du génocide sont seulement des Tutsi, et qu’il ne reconnait pas non plus que des membres de son armée ont pu commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur des populations Hutu, le FARG finance seulement des rescapés Tutsi.

Ces rescapés assistés par le FARG représentent actuellement 4% de la population (400 000), mais ils reçoivent 5% du budget du gouvernement21, une proportion largement supérieure aux 3% accordés à l’agriculture dont vit 80% de la main d’œuvre rwandaise essentiellement Hutu. De même, au niveau des dépenses affectées à la sécurité sociale, 47% vont aux seuls rescapés Tutsi tandis que moins de 25% vont aux autres groupes vulnérables.

 

L’un des impacts économiques de la discrimination entre les rescapés Tutsi assistés et les rescapés Hutu laissés pour compte est de placer les orphelins des deux ethnies sur des trajectoires d’avenir diamétralement opposées, les jeunes Tutsi pouvant bénéficier de l’éducation et avoir la chance de briser le cercle vicieux de la pauvreté, les jeunes Hutu n’ayant aucun avenir en dehors du secteur agricole sous-financé.

 

3.  L’interdiction du français dans l’enseignement et dans l’administration

En Octobre 2008, le président du Rwanda, le général Paul Kagame, a annoncé la suppression du français comme langue d’enseignement et d’administration. Bien que l’un des arguments qu’il a avancés pour justifier cette décision soit d’accroître la compétence et de promouvoir le développement23, c’est plutôt l’inverse qui risque de se produire. De plus, cette décision sera lourde de conséquences au niveau des inégalités de revenus et de la paix sociale.

 

Pour saisir son impact sur les inégalités des revenus, il y a lieu d’abord de rappeler que la langue seconde de l’élite qui a étudié au Rwanda avant 1994 et qui est majoritairement Hutu est le français, tandis que celle d’une grande partie de l’élite Tutsi anciennement réfugiée en Ouganda et actuellement au pouvoir est l’anglais. Le remplacement du français par l’anglais constitue une grande distorsion sur le marché du travail rwandais qui a des conséquences sur la redistribution des revenus entre les deux élites : Il diminue fortement la demande de travail des francophones par les employeurs, accroit celle des anglophones, et par conséquent diminue les revenus de l’élite francophone au profit de l’élite anglophone. L’apprentissage ex-post de l’anglais par cette élite francophone n’empêchera pas l’accroissement des inégalités, les conditions initiales n’étant plus les mêmes pour les deux élites. Un exemple illustratif pourrait être le cas d’un magistrat qui a pratiqué en français pendant toute sa vie et qui réalise soudainement que l’anglais est la seule langue acceptée dans les tribunaux et les documents officiels. Ce magistrat pourrait être renvoyé de son travail et remplacé par un anglophone qui, au Rwanda, est presque par définition un supporteur du régime actuel.

 

Au niveau de la croissance économique, cette décision aura des effets négatifs à travers plusieurs canaux : D’abord, le Rwanda ayant été un pays francophone depuis près d’un siècle, la presque totalité des travaux de recherche dans tous les domaines ont été rédigés en français. En enlevant aux générations futures l’outil linguistique pour exploiter ces milliers de publications scientifiques sur leur pays, la décision de supprimer le français dans l’enseignement va provoquer le gaspillage d’un important input pour la formation du capital humain rwandais et ralentir la croissance économique. Ensuite, les travailleurs francophones qualifiés mis au chômage ne pouvant plus subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs familles, ils pourront trouver le coût d’opportunité de rester au Rwanda très élevé et préférer le chemin de l’exil, aggravant ainsi le problème d’exode des cerveaux. Enfin, étant donné que cette décision constitue une modification des dispositions de la constitution rwandaise sans respect des procédures juridiques appropriées, elle illustre la non-prévisibilité des actions des dirigeants rwandais qui est une source d’incertitude nuisible à la croissance économique.

 

Cette décision a aussi un grand impact sur la paix sociale. Non seulement elle est porteuse de germes de conflits entre les deux élites ci-haut mentionnées, mais aussi elle décourage le retour pacifique de milliers de réfugiés rwandais francophones qui, voient leur capital humain fortement dévalorisé au Rwanda. En effet, la plupart des refugiés Hutu se sont installés dans des pays francophones (RDC, Congo-Brazzaville, République Centre Africaine, Afrique de l’Ouest, Belgique, France, Canada (au Québec)). Étant donné qu’il est difficilement concevable qu’ils puissent tous renoncer à revenir dans leur pays, et que cette décision indique clairement qu’ils n’auront pas de place dans l’administration publique rwandaise sans parler l’anglais, certains d’entre eux risquent d’envisager un retour par la violence. De plus, cette décision vient discréditer toute la stratégie de rapatriement volontaire et pacifique des rebelles Hutu qui se battent en RDC. Enfin, comme partout ailleurs, la hausse du taux de chômage qui en découlera risque d’entrainer une hausse de la criminalité.

    

 

 Par Maurice LYNDA

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