Rwanda : Diane Rwigara, la fille qui défie Kagame
Sans surprise, Paul Kagame a prolongé son bail à la tête du Rwanda, réélu sans réel adversaire avec un score de 98%. Seuls deux candidats étaient en face de lui. Les 6,8 millions d’électeurs rwandais n’ont pas trouvé trace de Diane Rwigara sur les bulletins de vote, malgré la détermination de la jeune femme de se présenter face au président sortant.
Le pays a beau pouvoir se targuer d’avoir le parlement le plus féminisé du monde – plus de 60% des membres de l’assemblée sont des femmes – le scrutin présidentiel ne voyait s’affronter que trois hommes (Paul Kagame (Front patriotique rwandais), Frank Habineza (Parti vert démocratique du Rwanda) et Philippe Mpayimana (candidat indépendant). «On a beaucoup de femmes au parlement. Et alors ? Qu’est-ce que ça change?» questionne d’emblée Diane Rwigara. «Ça fait partie de l’image, fausse, que le Rwanda veut présenter au monde extérieur. Comme quoi, ils donnent une certaine valeur aux femmes. Les hommes et les femmes qui sont au parlement n’ont pas de poids. Ils exécutent tous les ordres du parti au pouvoir. »
La Rwandaise qui a vécu trois ans à Namur entre 15 et 18 ans avant d’étudier en Californie aurait donc pu être la première candidate de l’histoire de son pays. La commission électorale, qui n’a pas répondu à notre demande d’interview, en a décidé autrement refusant sa candidature au motif qu’elle aurait falsifié des signatures. Des accusations qu’elle réfute. «Ils exigeaient 600 signatures et j’en données plus de 1.100. Ils ont utilisé leur politique habituelle de falsification. Ils ont dit que j’avais fait signer des morts. Les numéros d’identité de ces personnes décédées que la commission électorale a publiés sont différents des numéros d’identité qu’on leur avait fournis. Pour moi, c’est un mensonge.» Pas question pour la jeune politicienne, pourtant, à aucun moment de penser à un éventuel recours. « Où ça ? Toutes les institutions au Rwanda travaillent pour le FPR dont la commission électorale.»
Photos nues sur internet
Le moins que l’on puisse dire c’est que la campagne de la jeune femme ne fut pas de tout repos. Dès l’annonce de sa candidature, des photos nues de Diane ont ainsi été publiées sur plusieurs sites rwandais. «Un montage», se défend celle qui se pense « capable de faire un meilleur travail » que le parti au pouvoir. Un FPR qui accueillerait à bras ouverts les investisseurs étrangers mais mettrait des bâtons dans les roues des entrepreneurs rwandais. Un pays stable et dynamique mais où, selon elle, la réussite dans les affaires dépendrait de la proximité avec le pouvoir. «Ils présentent une image policée à l’étranger en construisant des hôtels et des buildings à Kigali qui coûtent une fortune. Le Kigali Convention Center a coûté 300 millions de dollars, c’est le bâtiment le plus cher en Afrique alors que nous sommes pourtant parmi ceux qui ont le moins. Le parti contrôle tout l’argent. Il reste entre les mains de quelques personnes. Au Rwanda, si tu veux réussir, tu n’as pas d’autre choix que de laisser le FPR prendre une partie de ton entreprise. Si tu ne les laisses pas, tu fais faillite, tu dois fuir, tu finis en prison pour des raisons bidons ou assassiné. Comme mon papa.»
Au nom du père
Assinapol Rwigara, businessman et ancien soutien financier du FPR avant le génocide est, ainsi, décédé dans un accident de voiture en février 2015. C’est la version officielle. Sa famille n’a jamais cessé, quant à elle, de crier à l’assassinat. «Mon père ne voulait pas céder les fruits de son travail, il n’avait pas envie de fuir le pays. Il ne leur a pas laissé le choix. Ils ne finissent pas se débarrasser de toi. Mon père est une personne parmi tant d’autres. Les gens n’osent pas en parler. Je me bats aujourd’hui pour les victimes du FPR et donc aussi pour mon père. Quand j’ai essayé d’aller collecter les signatures, les gens qui m’ont supportés, mes collaborateurs se faisaient harcelés, d’autres ont été arrêtés, les gens qui signaient pour nous se faisaient terrorisés», assure-t-elle.
Un témoignage qui fait écho à un récent rapport d’Amnesty International https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/07/rwanda-decades-of-attacks-repression-and-killings-set-the-scene-for-next-months-election/ qui dénonce le climat de peur qui sévit dans le pays et notamment à l’approche de cette élection.
« Peur pour mes proches »
Malgré l’impossibilité de se présenter, l’ancienne candidate indépendante a donc décidé continuer sa lutte « pacifique » en lançant début juillet son parti: le Mouvement pour le salut du peuple (MSP) «Mon but, c’est de mener un combat de paix pour dire non aux injustices, réclamer nos droits en tant qu’êtres humains. La jeunesse est prête pour le changement et à prendre des risques que nos parents n’osent pas prendre. La jeunesse en a marre, on est fatigués, on est prêts à faire bouger les choses.» A quel prix ? «Je n’ai pas peur pour moi pour être honnête », répond-elle d’une voix calme avant d’embrayer. «J’ai plus peur pour mon entourage, mes supporters, mes amis, ma famille. J’ai peur qu’ils paient pour mes idées.»
Par le passé, le pouvoir rwandais a déjà été accusé d’avoir muselé ses opposants que ce soit au pays des milles collines ou à l’étranger. Ce fut le cas, notamment, de Patrick Karegeya, ancien chef des services de renseignement devenu opposant en exil et retrouvé étranglé dans une chambre d’hôtel en Afrique du Sud http://www.lalibre.be/actu/international/rwanda-l-ex-chef-espion-assassine-52c63e413570105ef7e2f519 le 31 décembre 2013. Lorsque la question de l’identité du coupable lui fut posée, Paul Kagame, suspecté par certains http://www.rfi.fr/afrique/20140113-assassinat-patrick-karegeya-kagame-trahison-consequences de l’avoir commandité avait démenti toute implication http://www.rfi.fr/afrique/20140125-assassinat-karegeya-kagame-dement-toute-implication-rwanda. Interrogé sur cette affaire par le magazine Jeune Afrique http://www.jeuneafrique.com/134780/politique/rwanda-paul-kagam-pourquoi-devrions-nous-respecter-des-terroristes/, il avait en revanche froidement répondu. «Le terrorisme a un prix, la trahison a un prix. On est tué comme on a soi-même tué. Chacun a la mort qu’il mérite ».
Source:afrique.lalibre.be