Rwanda : Faut-il sacrifier la liberté pour sauver la croissance ?

La période post-1994 a donné naissance à un leadership basé sur le modèle d’un Etat dirigiste contrôlant le processus de développement. Ce leadership a créé, au fil des années, un environnement stable où le secteur privé peut se développer et réussir. Dans ce sens, Paul Kagamé avait lancé un programme nommé «Vision 2020», dans lequel il exprime sa vision pour les vingt années à venir. Celle-ci avait pour but de transformer le Rwanda en un pays à revenu intermédiaire dont l’économie est axée sur le savoir. Une politique qui a réussi à créer une synergie entre les entreprises privées locales et les entreprises étrangères et a porté ses fruits. Le pays, qui était 143ème mondial dans le rapport Doing Business en 2008, est aujourd’hui 56ème mondial et occupe le deuxième rang en Afrique : un bond remarquable de près de 100 places en seulement neuf ans.
Deux facteurs explicatifs à ces résultats. D’une part, le génocide de 1994 et la guerre civile rwandaise ont été perçus comme une menace de l’existence de la société rwandaise, et ont par conséquent facilité en quelque sorte l’unification de la société rwandaise. D’autre part, l’émergence du leadership de Kagamé a donné de la visibilité et a rassuré les investisseurs. Cela a surtout permis de faire avancer les réformes sans trop de blocages ou résistances au changement. Si le paramètre post-génocide unique du Rwanda peut justifier un état développementaliste sur le court terme, serait-il raisonnable de légitimer un système autoritaire au nom de la croissance économique?
Si l’Etat développementaliste peut se targuer d’une croissance vigoureuse à court terme, au demeurant nécessaire, elle n’est pas synonyme pour autant de développement. Celui-ci ne se réduit pas uniquement à la croissance du PIB, mais signifie l’ensemble des progrès au niveau de la gouvernance, des meilleures conditions du bien-être social comme l’éducation, la santé, la réduction des inégalités sociales, les droits et libertés, etc. Ainsi, selon le classement de l’Indice de Développement Humain (IDH), le Rwanda se classe à la 159ème place. De même, 60% de la population rwandaise vit encore en-dessous du seuil de pauvreté et 13,2% est au chômage. Autant dire, que la croissance tant vantée est loin d’être inclusive et équilibrée.

Si les modèles développementalistes sont toujours encensés pour leurs résultats enregistrés à court terme, leur performance et équilibre à long terme sont rarement remis en question. En réalité, cet équilibre reste fragile à moyen et à long terme, car une fois l’effet de rattrapage du retard épuisé et dépassé, l’innovation et la productivité nécessaires pour relancer et booster l’économie feront défaut, en raison du déficit de libertés politique et économique. Ainsi, le mode de contrôle de l’économie par l’Etat crée avec le temps des situations de rente qui nuiront aux bons résultats enregistrés à court terme. Cela engendrera des effets pervers, notamment la fuite des capitaux, mais aussi le détournement des investissements vers les projets improductifs et non rentables afin de faire plaisir aux tierces parties, comme les alliés, lobbyistes, etc. Il en ressort un recul de la croissance à long terme.

Si la dynamique économique développementaliste a certes pu sauver plus d’un million de Rwandais de la pauvreté, il est temps aujourd’hui qu’elle garde son dynamisme. Pour ce faire, Kagamé devrait renoncer à briguer un troisième mandat pour permettre aux siens d’aller vers un modèle de développement plus viable et durable.
Hamza El Guili, chercheur-doctorant à l’ENCG Tanger, Maroc.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.