Rwanda-RDC : l’heure de vérité sur les FDLR ?

Publié le par veritas

FDLR Jeunes

Contexte


Après la débâcle du M23, une rébellion créée en 2012 et depuis lors soutenue par le Rwanda pour déstabiliser l’Est de la RDC, les observateurs sont frappés par le silence assourdissant de Kigali. Hormis le coup de sang du représentant du Rwanda auprès des Nations-Unies qui, lors d’une réunion du Conseil de Sécurité dont le Rwanda est membre non permanent, a claqué la porte après une échange avec le patron de la MONUSCO. Le diplomate rwandais reprochait à ce dernier de ne pas s’occuper aussi vigoureusement des FDLR comme il venait de le faire avec le M23. De même, la presse officielle rwandaise reste muette et ne commente pas la défaite militaire du dernier avatar de Paul Kagame dans son entreprise de dominer l’Est de la RDC.


Paul Kagame est visiblement gêné et il y a de quoi. L’on se souviendra en effet que depuis 1996, à peine 2 ans après sa prise du pouvoir par les armes au Rwanda, l’ancien officier de l’armée ougandaise, conseillé, encouragé et soutenu par les superpuissances, a envahi l’ex-Zaïre en passant sur des milliers de cadavres de réfugiés hutu rwandais tués lors de la destruction de leurs camps et sur les chemins de leur errance dans la jungle congolaise, ainsi que celle des millions de citoyens congolais comptabilisés comme « dégâts collatéraux ». Tout cela avait été justifié jusqu’aujourd’hui par « le droit légitime des Tutsi de poursuivre les génocidaires hutu et de les empêcher de revenir au Rwanda continuer le ‘‘travail’’ ». Sous cette couverture, l’officier tutsi James Kabarebe fut chef d’Etat-major de l’armée congolaise à Kinshasa soit à plus de 2000 km des camps de réfugiés hutu qu’il était censé aller simplement démanteler car trop proches du Rwanda.


Quand le tombeur du maréchal Mobutu, Mzee Laurent Désiré Kabila, voulut s’émanciper de la tutelle rwandaise, ses anciens soutiens se fâcheront et entreprendront des actions de le mettre hors circuit. Il s’ensuivra une guerre que certains ont qualifiée de « première guerre africaine » dans laquelle pas moins d’une dizaine de pays étaient impliqués. Laurent Désiré Kabila sauvera son régime mais ne parviendra pas à sauver sa peau et fut assassiné dans son bureau en janvier 2001. Son fils, Joseph Kabila, lui succéda. Il dut se soumettre aux schémas dessinés dans les bureaux de Washington, Londres et New York et pour avoir « la paix », signa les accords de Sun City qui mettaient en place un régime de transition étrange et ingérable : 4+4. C’est-à-dire un président secondé par quatre vice-présidents. Dans ce conglomérat, le Rwanda de Paul Kagame avait obtenu que sa créature politique en RDC à savoir le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), obtienne une de vice-présidences. A cela s’y ajoutaient les postes dévolus aux ramifications du RCD mais toutes sous son contrôle (RDC-Goma, ML, etc.). Pareillement, les officiers tutsi qui, pour la plupart, avaient appartenu au FPR lors de la conquête du Rwanda entre 1990 et 1994, furent intégrés en masse au sein de l’Armée congolaise et aux grades de leurs choix.

 


 

Mais après la période de transition prévue par les accords de Sun City, les élections ont tranché et les Congolais ont voté pour Joseph Kabila. Sans tarder, les officiers tutsi qui avaient été intégrés dans l’armée congolaise se sont rebellés sous l’acronyme de CNDP et sous le commandement de l’officier tutsi Laurent Nkunda aujourd’hui retourné au Rwanda. Après des mois de combats, des centaines de morts et au passage une occupation passagère de la ville de Bukavu, le CNDP signera avec le gouvernement congolais un accord lui garantissant l’impunité et réintégrant encore ses combattants dans l’armée congolaise aux grades de leurs choix. C’était le 23 mars 2009.


Trois ans après, Paul Kagame sentant que les Congolais commencent à s’organiser et qu’il ne pourra indéfiniment compter sur des officiers tutsi placés « officiellement » dans le commandement de l’armée congolaise, décide de déclencher une nouvelle rébellion en avril 2012. Il lui donnera le nom de M23 en allusion à la date de signature de l’accord entre le gouvernement congolais et le CNDP, arguant que cet accord n’avait pas été appliqué en ce qui concerne le gouvernement congolais. Comme toujours, la nouvelle rébellion est constituée de soldats et d’officiers tutsi ayant quelques attaches au Nord ou Sud Kivu et ayant servi au départ dans l’armée rwandaise avant d’aller combattre en RDC dès 1996. Il faut souligner que depuis la destruction des camps de réfugiés par l’armée de Paul Kagame en novembre 1996, celui-ci a toujours donné pour prétexte de prévenir les attaques des ‘‘génocidaires’’ qui pourraient revenir au Rwanda commettre un nouveau génocide. Depuis une dizaine d’années, ces ‘‘prochains génocidaires’’ ont un visage dessiné et projeté à la face du monde par le régime de Paul Kagame. ‘‘Ils s’appellent FDLR et ont commis le génocide ou possèdent en eux l’idéologie du génocide’’.


Le tournant

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La nouvelle trouvaille de Paul Kagame, le fameux M23, va tout de suite avoir le vent en poupe. Quelques mois seulement après avoir déclenché la rébellion, les militaires tutsi s’emparent de la ville de Goma, capitale provinciale du Nord Kivu, chose jusque là impensable et jamais survenu auparavant. Ils obtiendront que le gouvernement de Kinshasa accepte de s’asseoir sur la table de négatiation à Kampala en Ouganda en échange de l’évacuation de la ville de Goma. Entretemps, malgré le siège que le Rwanda occupe au Conseil de Sécurité des Nations-Unies depuis janvier 2013, le même Conseil décide de joindre à la MONUSCO (Force des Nations-Unis déployée en RDC), une brigade d’Intervention de plus de 3000 hommes ayant une mission plus musclée pour notamment éradiquer tous les groupes armés qui pullulent à l’Est de la RDC à commencer par le M23.

 

La résolution S/RES/2098(2013) est donc tombée comme une douche froide pour le gouvernement de Kigali, surtout que les pays qui se sont portés volontaires pour constituer cette brigade ne sont généralement pas dans la poche de « l’international tutsi ». Nous sommes alors en mars 2013. Patiemment et méthodiquement, la brigade constituée de militaires tanzaniens, sud-africains et malawites et sous le commandement d’un général tanzanien est alors montée en puissance et lorsque fin octobre 2013, les FARDC ont lancé leur offensive pour éradiquer le M23 des territoires qu’il occupait, l’appui de la Brigade d’intervention a été décisive et peut-être a fait la différence. Le M23 a lui même reconnu sa défaite et son abandon de la lutte armée. Notons que la Brigade a pour mission de « démanteler » tous les groupes armés opérant en RDC. Le démantèlement du M23 n’est donc qu’un premier objectif atteint mais que la MONUSCO et les FARDC comptent poursuivre sur leur lancée notamment pour démanteler les rebelles hutu dits « FDLR » et ougandais de « ADF-NALU ».


Démystifier et rétablir la vérité


La première vérité à établir au sujet des FDLR avant de les « démanteler » sera d’ordre historique. Il est actuellement admis conformément, au discours officiel du régime de Kigali, que les FDLR sont arrivées à l’Est de la RDC en 1994. Rien n’est plus faux ! En effet, les FDLR n’ont été fondées qu’en 2000 et ne pouvaient donc pas être en RDC six ans avant leur existence. Comme il est de bon ton d’admettre que les combattants tutsi qui ont envahi le Rwanda en 1990 sous l’appellation d’ « INKOTANYI », un mouvement politico-militaire fondé en 1987 en Ouganda, n’étaient pas les mêmes INYENZI qui avaient lancé des attaques sur le Rwanda à partir des pays voisins jusque dans les années 1968, de même, il faudra un jour admettre que les FDLR ne sont pas ces mêmes anciens militaires ou miliciens qui se sont repliés au Zaïre en 1994. Comme les Inkotanyi sont des descendants des Inyenzi, les FDLR peuvent tout au plus être considérées comme des descendants de ceux de 1994 mais la relation s’arrête là.


Le défi environnemental et humanitaire


Le M23 qui vient d’être démantelé occupait un territoire bien délimité dans lequel d’ailleurs il avait installé une sorte de pouvoir d’Etat notamment : lever les impôts, assurer la police, … Ces combattants étaient clairement identifiables et distincts des populations tombées sous son contrôle. Par contre, d’après les observateurs sur le terrain dont ceux qui seront chargés de traquer les FDLR, celles-ci ne sont pas précisément localisables dans une zone donnée. Les « combattants » vivent aux côtés de leurs familles qui sont des réfugiés dispersés dans toute la région. Il faudra donc relever ce défi notamment l’utilisation des armes contre des populations civiles non armées sous prétexte que parmi eux vivent des « combattants » qui par ailleurs sont leurs enfants ou parents ! D’aucuns rétorqueront qu’en 1996, les armées de Paul Kagame se sont bien attaquées aux camps des réfugiés hutu sous le prétexte d’y chercher les ex-militaires du régime déchu et le monde a laissé faire.

 

A ceux là on pourrait objecter que « les temps ont changés », les enjeux n’étant pas les mêmes. Si en 1996 on pouvait se permettre de sacrifier des milliers de hutu innocents pour « in fine » chasser le maréchal Mobutu du pouvoir à Kinshasa, le jeu en valait la chandelle. Dans le cas des FDLR, combien de victimes innocentes, des femmes, des vieillards et des enfants, la Brigade d’Intervention de la MONUSCO est-elle prête à revendiquer le massacre sous le prétexte qu’elle remplissait sa mission de démanteler les FDLR qui vivaient au milieu de ces réfugiés innocents ? Et quand bien même l’ONU endosserait ce crime de guerre et crime contre l’humanité (s’attaquer aux populations non armées à la recherche des FDLR), les gains en retour ne seraient pas évidents et de toute façon ce serait un comble pour une organisation censée promouvoir la paix dans le monde notamment la protection des populations civiles lors des conflits armés.


Défi opérationnel

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Dans la « Blitzkrieg » qui a eu raison du M23, l’artillerie lourde ce « Regis ultima ratio » a été déterminant facilitant énormément l’action des troupes au sol. Bref, ce fut une guerre classique dans toute sa définition. Cette guerre classique a opposé deux armées séparées par une ligne de contact bien matérialisée, occupant de positions militaires bien identifiables. Dans le cas des FDLR, en guise de positions occupées par ces derniers, les observateurs n’indiquent de temps en temps -approximativement d’ailleurs- que le village où se cacherait un commandant « supposé » des FDLR. On voit mal comment la Brigade d’Intervention engagerait son artillerie comme elle l’a fait pour « dégrader » les positions du M23, ce qui donnerait comme résultat la destruction d’un village dans lequel on ne serait d’ailleurs pas sûr que le commandant « supposé » en question y ait péri. On peut donc être sûr que les stratèges et tacticiens de la MONUSCO ont déjà oublié la guerre classique pour les opérations à venir. Ce serait donc une première si une Force des Nations Unies s’engageait dans une opération de contre-guérilla avec tout ce que cela comporte comme risque de « dégâts collatéraux », alors qu’elle est intrinsèquement destinée à maintenir la paix dans le monde et à prévenir de tels débordements en cas de conflits armés. Mais quand il s’agit du Rwanda tout est possible !


Qui réellement veut la disparition des FDLR ?


La réponse semble simple et claire : tout le monde sauf elles-mêmes. Ce n’est pas évident. La RDC, l’ONU, les pays de la région… peuvent souhaiter la fin des FDLR, mais pas … Paul Kagame et son régime. En effet le régime rwandais actuel fonde sa légitimité sur un mythe qui voudrait qu’il ait arrêté un génocide dont les auteurs se sont enfuis en RDC et qu’il doit poursuivre ou tout au moins se prémunir de leur retour. Cet épouvantail, Kagame l’a trouvé dans les FDLR. Tout lui est permis quand il parle des FDLR : mensonges, globalisation, violation des droits de l’homme, violations du droit international,… pourvu que ce soit dans le cadre de lutter contre les FDLR. Si donc demain ou après demain les FDLR venaient à être déclarées mises hors d’état de nuire, soit par la force, soit par un processus politique, Kigali perdrait son spectre préféré qu’il brandisse chaque fois qu’il était pris en flagrant délit de violations des droits de l’homme ou du droit international.

 


À suivre…

Emmanuel Neretse


Source : musabyimana.net

Publié dans FRANCAIS

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