D’emblée, quiconque lirait le titre de cet article me prendrait pour un fou, un profane en la matière, un charlatan, détourneur de l’attention du public, etc. La réponse d’un homme informé me renverrait sans doute au site de la primature de la république du Rwanda pour y consulter le journal officiel du 24 décembre 2015 qui a publié «La constitution de la République du Rwanda 2003 révisée en 2015». Ayant appris le droit et familier sur les méthodes scientifiques de la rédaction juridique, laissez-moi vous dire que ma question est encore d’actualité.
Ma conviction est telle que le texte publié dans le journal Officiel de la République du Rwanda n’est pas une révision constitutionnelle mais plutôt un texte coordonné de la constitution de 2003 telle que révisée à ce jour (qui ne doit, en principe, pas être publié officiellement) ou, du moins, une forme d’une nouvelle constitution.
Je m’explique: En lisant la page de garde du journal officiel de la République du Rwanda du 24 décembre 2015, on voit la mention suivante: LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DU RWANDA DE 2003 RÉVISÉE EN 2015, écrite aussi en Kinyarwanda et en anglais. Sans même entrer dans le fond du problème, cet intitulé soulève une question : «Est-ce la première fois que la constitution de la République du Rwanda de 2003 est révisée ?». La réponse est négative malgré ce que laisse entendre cette formulation de l’intitulé de ce journal officiel car avant 2015, elle était déjà révisée 4 fois. Pour la première fois, la constitution a été révisée toute jeune car elle n’était âgée que de 5 mois et 28 jours. C’était le 02 décembre 2003 et cette révision a été publiée dans le journal officiel n° spécial du 02/12/2003. La deuxième fois c’était le 08/12/2005, la troisième fois c’était le 13/08/2008, le quatrième fois c’était le 17/06/2010 . Voilà les quatre révisions de la constitution avant celle de 2015 que nous ne trouvons pas mais plutôt comme je l’ai dit supra, nous n’avons trouvé qu’un texte consolidé, coordonné de la constitution.
Comme je l’ai dit, le texte publié le 24 décembre 2015 est ainsi libellé « La constitution de la République du Rwanda de 2003 révisée en 2015». Or l’intitulé de ces quatre révisions constitutionnelles précédentes était ainsi libellé: «Révision de la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003 (telle que révisée à ce jour)». C’est ce dernier libellé qui est la forme la plus adéquate de la révision constitutionnelle. Alors la question est de savoir pourquoi les constituants rwandais auraient choisi la forme inadéquate. C’est en vue d’une mascarade? Sans doute. En nous donnant un texte consolidé de la constitution c’est une volonté de nous cacher les modifications apportées à certaines dispositions constitutionnelles et de ce fait, faire une nouvelle constitution au fond, prenant, quant à la forme, une image d’une révision constitutionnelle.
Pour une petite comparaison, prenons les articles 1 des révisions de 2010 et de 2015, nous verrons que la façon de leur rédaction est différente, celle de la révision de de 2010 étant la mieux appropriée. Article 1 de la révision de 2015 « Tout pouvoir émane des Rwandais et est exercé conformément à la présente Constitution » tandis que l’article 1 de la révision de 2010 « L’article 20 de la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003 telle que révisée à ce jour est révisé comme suit: «Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas une infraction d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises… ».
En effet, avant d’annoncer la modification apportée à une disposition de la constitution, chaque article de la révision constitutionnelle commence par annoncer l’article de la constitution à réviser. Cela n’est pas le cas dans le texte publié le 24/12/2015 qualifié ainsi par erreur de révision constitutionnelle. C’est une nouvelle constitution que les autorités rwandaises ont élaboré et l’ont par force fait voter par la population ignorante. Comment et pourquoi le FRP de Kagame qui dirige le pays actuellement préfère-t-il de brouiller les pistes aux gens ? Cela s’inscrit dans le cadre d’une politique de longue date de Kagame de s’accrocher au pouvoir. Tous les moyens sont bons pour Kagame afin qu’il ne soit pas traduit devant le tribunal pour répondre des crimes qu’il a commis. L’un de ces moyens c’est de rester président avec l’immunité de poursuite qui va avec cette fonction. Pour y arriver, il fallait trouver un instrument juridique qui lui permet de s’accrocher au pouvoir. La révision constitutionnelle et les pétitions qui l’ont précédé s’inscrivent dans ce cadre. Mais les imperfections avec lesquelles cette constitution est rédigée lui enlèvent toute valeur juridique. Nous ne pouvons citer que quelques-unes :
-Comment se pourrait-il qu’il existe 2 différentes catégories de mandats présidentiels, de différente durée dans une même constitution ? Une pareille constitution n’existe nulle part au monde sauf au Rwanda. On dirait que le Rwanda se trouve sur sa propre planète où il n’existe aucune autre nation;
-Comment expliquer que l’article 172 soit motivé comme si le préambule n’était pas suffisant ? Les motifs n’ont jamais place dans le corps d’un texte juridique. Constitue-t-il (art.172), à lui seul, un autre texte qui n’est pas la constitution dans laquelle il est inséré et dont le préambule de la constitution lui reste inadéquat ?
-Jamais un texte juridique n’abroge ses propres dispositions ? Les dispositions d’une loi sont abrogées par une autre loi, pas la loi elle-même. Or, la constitution publiée en décembre dernier abroge ses dispositions au lieu d’être abrogées par une révision constitutionnelle. « Toutes les dispositions de la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003 et ses amendements antérieurs à la présente révision sont abrogés et remplacés par la présente Constitution révisée » lit-on dans l’article 171 de cette constitution.
Toutefois ces imperfections ne sont pas le fruit du hasard. Tout est calculé. C’est une façon de faire croire aux gens qu’aucune disposition de la constitution de 2003 ne reste applicable, même pour les situations qu’elle aurait créées avant et qui sont encore en cours. De cette façon, sans référence possible à l’ancien article 101 qui limitait à deux les mandats du président, Kagame se représenterait en 2017 comme s’il s’agissait de sa nouvelle candidature à la présidence de la république.
Ce constat coïncide exactement de la mauvaise foi des institutions de Kagame dans la rédaction des dispositions transitoires. Cela résulte de leur volonté de prêter à confusion ou de laisser un vide juridique que les adeptes du régime pourront profiter pour introniser leur nouveau roi dans une république, malgré l’interdiction formelle de la constitution. A titre exemplatif, citons l’article 172 alinéa 1er : «Le Président de la République en exercice lors de l’entrée en vigueur de la présente Constitution continue à exercer le mandat pour lequel il a été élu». Mais pendant qu’il exerce son mandat, quel est le texte légal qui régira ce mandat ? C’est sans doute la constitution de 2003 avant sa révision de2015 et pas la constitution révisée car la loi ne rétroagit pas, sauf disposition expresse, mais régit des situations futures. De toutes les façons, les constituants rwandais ont volontairement omis certains mots (tels que «conformément à la constitution en vigueur au moment de son élection») dans toutes ces dispositions transitoires pour qu’à un moment opportun ils arrivent à faire dire le texte ce qu’il ne dit pas et tout cela pour les intérêts d’un seul homme.
Nous tenons à dire à haute voix, comme l’a répété maintes fois l’abbé Thomas NAHIMANA, qu’en 2017, le général Kagame aura terminé son deuxième et dernier mandat au poste du président de la république et ce, conformément à la constitution qui était en vigueur au moment de son élection. Il ne sera pas capable d’être reconduit à la magistrature suprême du pays. L’article 172 qui, initialement, mentionnait Kagame comme seul destinataire du mandat de 7 ans qui suit l’échéance de ses deux mandats, est maintenant libellé de façon général. En conséquence, Kagame ne doit pas se représenter en 2017 car la constitution sous l’égide de laquelle il a été élu ne le lui permettait pas et la nouvelle constitution n’a pas expressément ou tacitement, dérogé à cette interdiction constitutionnelle qui reste d’application à son égard.
En terminant, je pose alors la question : Qui sera le successeur potentiel de Kagame ?
Un lecteur de Veritasinfo