Kagamé fait monter la tension à Paris

Publié le par veritas

La première visite du président rwandais en France déchaîne les passions et les critiques d'une coalition hétéroclite, aux discours parfois ambigus.

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En 2009, le magazine américain Time le classait parmi les 100 leaders de l’année, vantant la réussite de sa politique économique et sa stature de Chef d’Etat. Un an plus tard, le chef du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, refusait de le rencontrer à Madrid, sous la pression d’ONG locales qui l’accusent d’avoir du sang sur les mains. Deux exemples qui montrent l’extrême ambivalence des réactions que suscitent le président rwandais, Paul Kagamé, arrivé au pouvoir en 1994 après avoir fait fuir hors du pays, le gouvernement qui a orchestré le génocide des Tutsi.

Sa première visite officielle en France, les 12 et 13 septembre 2011, doit en principe sceller la réconciliation entre Paris et Kigali, après quinze ans de brouilles et de tensions récurrentes. Malgré un programme plutôt discret (un déjeuner à l’Elysée avec Nicolas Sarkozy, mais pas de conférence de presse commune) et centré sur la reprise de la coopération économique (un petit-déjeuner avec le Medef, le patronat français), l’arrivée de Kagamé à Paris déchaîne les passions, jusqu’en Belgique.

Les détracteurs du président rwandais ont multiplié les forums et les appels à manifester sur le web. Des appels, relayés sur des sites à la réputation parfois douteuse, où l’on s’oppose aussi bien à la venue de Kagamé qu’à l’islam en France. Sur YouTube, des ressortissants congolais ont posté un document Vidéo où l’on voit défiler des hommes et des femmes recouverts de peinture rouge, exprimant leur hostilité à cette visite. L’un des protagonistes de ce petit film n’hésite pas à passer son pouce sur sa gorge, en prononçant le nom de Kagamé. Si le but de la visite était de tourner la page sombre du passé, c’est raté. Car les voix qui s’expriment avec le plus de virulence concentrent leurs attaques sur la guerre en République démocratique du Congo mais aussi sur… le génocide des Tutsi en 1994.

Des tensions à peine voilées

Ainsi, un ancien conseiller de l'ancien Premier ministre français Edouard Balladur (en 1994 et 1995) n’hésite pas dans une tribune publiée par l’hebdomadaire Marianne à comparer Paul Kagamé à Hitler, avant de nier de manière appuyée le génocide de 1994, reprenant la thèse défendue par les extrémistes hutu «d’une colère spontanée de la population». Des propos ouvertement négationnistes, d’autant plus inquiétants quand on se rappelle que Balladur était le Premier ministre du gouvernement de cohabitation au moment du génocide. Est-ce qu’il partageait les opinions de son conseiller aux affaires régionales et d’outre-mer?

Il est vrai que les signes de tension sont perceptibles même au sein de l’équipe gouvernementale. Sans faire de commentaires, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a opportunément programmé un voyage en Océanie (difficile de faire plus loin), évitant ainsi de participer au déjeuner prévu le 12 septembre avec Paul Kagamé. Lequel a plusieurs fois ouvertement regretté le retour au Quai d’Orsay de celui qui occupait déjà ces fonctions au moment du génocide. Quand Paris soutenait les forces armées rwandaises et se singularisait en acceptant de recevoir les ministres d’un gouvernement impliqué dans les massacres alors en cours. Mis en cause en 2008 par un rapport d’enquête rwandais qui l’accuse de «complicité de génocide», Alain Juppé a toujours défendu farouchement le rôle de la France au Rwanda.

Ce n’est pas le cas de tous ses subordonnés: Laurent Contini nommé ambassadeur de France au Rwanda en 2010, au moment du réchauffement entre les deux pays, n’avait pas hésité à aborder ouvertement la question des responsabilités françaises.

«La réconciliation franco-rwandaise a été voulue par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant qui était secrétaire général de la Présidence au moment du rapprochement et s’est montré très actif. Bien plus, en réalité que Bernard Kouchner alors ministre des Affaires étrangères, connu pour être lui aussi favorable à cette réconciliation», confie un bon connaisseur des relations franco-rwandaises.

Une stratégie qui s’impose malgré les réticences des cercles où évoluent les anciens responsables de droite comme de gauche qui faisaient partie du gouvernement de cohabitation au moment du génocide.

«Mais l’opposition à Kagamé se ferait moins entendre, si son bilan était irréprochable, considère Ambroise Pierre, responsable de l’Afrique au sein de Reporters sans Frontières. Le développement du pays et le retour de la paix sont des réalités, mais accomplis au détriment des droits de l’homme.»

Le rôle du Rwanda dans la guerre en République démocratique du Congo est ainsi souvent avancé pour qualifier le Président Kagamé de «dictateur sanguinaire». Un rapport publié par les Nations Unis en 2010 a ainsi accusé le Rwanda de crimes de guerre dans le pays voisin et même de «possibles actes de génocide», suscitant l’indignation de Kigali. Si la responsabilité du Rwanda dans ce conflit meurtrier mais aussi dans le pillage des ressources congolaises ne fait aucun doute, il peut paraître curieux d’occulter le rôle des autres protagonistes de cette «première guerre mondiale africaine» dans laquelle se sont impliqués outre le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Zimbabwe, et d’importants mouvements de guérilla issus parfois des forces qui avaient commis le génocide de 1994 au Rwanda.

La campagne de terreur suscitée par ces anciens miliciens et militaires rwandais a été dénoncée par des ONG comme Human Rights Watch. Mais aussi par un autre rapport d’enquête de l’ONU qui, en 2009, révélait que «ces anciens génocidaires» bénéficiaient de l’appui d’un vaste réseau d’aide et de financement dont les ramifications s’étendaient jusqu’à des fondations catholiques en Espagne et des exilés réfugiés en France et en Allemagne.

Or, c’est bien dans le prolongement du génocide que se déclenche la guerre en RDC. L’offensive initiale visait avant tout à démanteler les forces nostalgiques du génocide qui se réarmaient et menaçaient de revenir au Rwanda. En 1994, contrairement à tous ses principes, le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) n’a pas installé les camps de réfugiés à 150 kilomètres de distance du pays d’origine, mais juste en face, à quelques mètres à vol d’oiseau d’un pays où les autorités chassées du pouvoir rêvent alors de retourner «finir le travail».

Impasse sur les vraies faiblesses de Kigali

Pendant deux ans, Kigali a alerté en vain la communauté internationale sur les incursions permanentes, le réarmement des réfugiés dans les camps. Face au silence général, Kagamé envoie finalement ses troupes de l’autre côté de la frontière. Les combats feront de nombreuses victimes, mais l’offensive rwandaise a aussi permis à de nombreux réfugiés, Hutu pour la plupart, de revenir au Rwanda, libérés de l’emprise menaçante des anciens génocidaires. Rien qu’en trois jours entre le 15 et le 18 octobre 1996, 500.000 d’entre eux franchissent la frontière dans l’autre sens, selon le HCR.

Alors Kagamé est-il ce dictateur aux mains pleines de sang, comme l’accusent ses détracteurs avec passion? En réalité, en se focalisant sur la thèse caricaturale et outrancière du «double génocide», les adversaires de Kagamé font l’impasse sur les vraies faiblesses de son bilan: les restrictions de la liberté d’expression, les arrestations de journalistes, la vulnérabilité des opposants. Les organisations des droits de l’homme les ont souvent dénoncées.

«L’année 2010 a été particulièrement inquiétante», souligne Ambroise Pierre de Reporters Sans Frontières, évoquant, la fermeture de deux hebdomadaires et l’assassinat d’un journaliste.

«Les lois qui répriment l’idéologie du génocide, même si elles sont légitimes dans un pays où les média de la haine ont joué un rôle incendiaire, sont trop vagues et sont utilisées pour intimider les voix critiques», dénonce de son côté Amnesty International.

Pourtant, alors qu’elles sont d’habitude les premières à se mobiliser, aucune des grandes organisations des droits de l’homme ne participera aux manifestations contre la venue de Kagamé.

«On ne s’oppose pas à sa visite, on souhaite que le gouvernement français reste vigilant sur la question des droits de l’homme», confirme Ambroise Pierre qui reconnaît que la France «a peut-être du mal à formuler des exigences» en raison d’un passé dont la page n’est pas encore tout à fait tournée.

 

Maria Malagardis (slateafrique)

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