Réaction à l’article de l’Abbé Fortunatus Rudakemwa à propos de la monarchie et la république rwandaise
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C’est après que j’ai reçu un coup de téléphone de la part d’un ami qui me relatait la parution sur Internet de l’article de l’Abbé Fortunatus Rudakemwa sur les questions en rapport avec la république et de la monarchie au Rwanda, que j’ai remarqué moi-même que cela vaut la peine d’y réserver une réponse appropriée. Bien que je n’eusse pas pu lire auparavant l’article du confrère paru sur le site www.leprophete.fr, j’ai répondu à mon interlocuteur à l’autre bout du fil que je ne vois pas pourquoi l’article de Fortunatus ferait l’objet de polémique, tant la force de conviction de ceux qui soutiennent la royauté constitutionnelle leur donne les moyens de pouvoir parer aux arguments contradictoires vis à vis de cette ligne politique, quelque soit leur teneur! Voilà pourquoi je me suis proposé donc de réagir sans tarder aux positions de l’abbé, bien que cela fasse apparemment plus de trois jours depuis la parution de l’article.
Tout d’abord, je ne manquerais pas d’indiquer au lecteur que l’Abbé Fortunatus Rudakemwa n’est pas seulement pour moi un confrère dans le sacerdoce, mais que c’est surtout un ami. Chacun comprendra pourquoi ma réaction à son encontre ne peut revêtir aucune forme d’animosité. Mon amitié pour Fortunatus se base surtout sur l’estime. Comme tout le monde le sait, L’abbé Fortunatus est un historien de renom. Peu de Prêtres rwandais ont pu obtenir un doctorat en histoire ecclésiastique, tout comme d’ailleurs en histoire universelle. Cette qualification vaut donc à l’abbé Fortunatus du respect, surtout dans le monde académique. Et puis ce n’est pas tout. Il est bien connu que des intellectuels rwandais peuvent accumuler les diplômes, mais ceux qui se mettent à approfondir leur carrière par l’écriture sont peu nombreux. L’abbé Fortunatus a par conséquent l’atout d’être aussi un écrivain, et ce depuis sa petite jeunesse. Ses articles publiés dans des journaux et différentes revues étaient toujours bien appréciés. A part ces capacités intellectuelles indiscutables, l’abbé Fortunatus est connu dans sa vie courante comme quelqu’un doué d’une forte personnalité. Et la pertinence de l’écrit venant de lui que je viens de lire, démontre bien ces qualités citées.
Par ailleurs, après avoir analysé à fond son article, j’ai pu remarquer quelques lacunes, dues certainement à l’approche trop scientifique de la question rwandaise en matière d’histoire et qui peut aller jusqu’à ignorer certaines réalités qui, pourtant jouent un rôle prépondérant dans les questions sociales. Pas parce que je sous-estime des approches hautement scientifiques, au contraire. Mais plutôt parce que à force d’abonder dans l’abstraction et viser trop l’objectivité, on peut courir le risque de perdre de vue la dimension particulièrement humaine de la pensée et qui peut dépasser dans certains cas des réalités purement objectives. Je ne suis pas de ceux qui soutiennent le manque de rigueur scientifique, et je pense que mieux vaut le rigueur scientifique qu’une approche purement subjective, le piège dans lequel tombe nombreux confrères, souvent sans le savoir peut-être. En tout cas, s’il y avait à choisir antre les thèses qu’avancent l’Abbé Fortunatus, en comparaison avec celles avancées par exemple par les gens comme l’Abbé Jean Ndorimana, je soutiendrais sans hésiter la démarche de Fortunatus.
Cependant, comme je l’ai mentionné, la clé de l’histoire ne peut pas se suffire à elle seule pour éclaircir le problème rwandais. Je trouve par exemple que des approches sociopolitiques, anthropologiques, psychologiques, juridiques… et même philosophiques et théologiques s’imposent également, et cela pourrait bien compléter ce que puissent avancer les historiens. Or, nous savons que les sciences humaines ne se limitent pas seulement aux données objectives, et qu’ils donnent très souvent la place à la pansée intuitive. C’est le propre des penseurs de présenter aussi souvent les résultats de leur intuition, ce qui est à la base de la fixation des idéologies qui dirigent ce monde. En tout cas, je reste d’avis que les réalités sociales comme la culture, les coutumes, voire les moeurs… ne se laissent pas souvent cerner uniquement par des données objectives et scientifiques. Des efforts d’analyse et de synthèse peuvent aboutir souvent à des vérités jusque là inconnues. Voilà pourquoi je pense que l’analyse approfondie de la culture rwandaise aurait à été nécessaire pour éclairer, compléter, et même rectifier les idées avancées par Fortunatus Rudakemwa. Bien que je puisse essayer dans l’avenir de revenir en profondeur sur l’argumentation de l’abbé, je vais tout de même essayer de revenir en gros sur les points qui ont attiré l’attention de mon esprit, tout en promettant de revenir un jour de façon détaillée sur l’article qui, comme je l’ai indiqué, est d’une pertinence inégalée.
1. Le contexte de la mort du roi Mutara III Rudahigwa.
J’ai été pris d’étonnement après le constat du fait que l’Abbé Fortunatus ne s’est borné qu’à trois auteurs pour mener son argumentation, à savoir Jean Paul Harroy, Guy Logiest et Mgr Alexis Kagame. Tout observateur avéré peut se rendre compte que les deux premiers auteurs ne peuvent pas être en mesure d’expliquer de façon assez objective les problèmes dans lesquels ils auraient joué des rôles de premier plan. A lire Harroy et Logiest, l’observateur peut remarquer qu’ils essaient de justifier leur attitudes dans les problèmes qui ont frappé le peuple rwandais, et dans lesquels, ils aurait joué un rôle déterminant, eux-mêmes et puis l’institution qu’ils représentaient, c’est-à-dire le pouvoir colonial belge. Les auteurs s’exonèrent bien entendu de leurs erreurs, et ne font que rejeter le faute de ce qui est arrivé au pays au pouvoir rwandais traditionnel, c’est-à-dire la royauté rwandaise. En tout cas cela étonnerait plus d’un que le colonisateur ait été si inoffensif que ça, et que le responsable du malheur rwandais soit le pouvoir tutsi et la dynastie nyiginya!
Tout de même, L’abbé Fortunatus a bien fait de citer l’abbé Alexis Kagame qui, comme nous le savons, fut un grand admirateur de la monarchie rwandaise. Evidement, l’abbé Fortunatus a commis sciemment de mentionner les idées d’Alexis Kagame qui vont dans le sens de défendre l’institution monarchique. Dans ses publications, la plus connue étant „L’abrégé de l’ethnohistoire du Rwanda“, l’abbé Kagame a pu relater en détails les haut faits des rois du Rwanda. S’il a fait ainsi, ce fut dans le sens de démontrer qu’avant l’arrivée du colonisateur, le Rwanda avait atteint un certain niveau de civilisation assez remarquable, et que les rois du Rwanda ont tout fait pour unifier le peuple rwandais. Il n’est nul doute que tant bien le Hutu que le Tutsi, mais aussi le Twa, que toutes ces trois composantes de la population ont joué des rôles déterminants dans le façonnement de la nation rwandaise. Comme nous le savons, à l’avènement du colonialisme, ce furent surtout des chefs d’armées hutu qui commandaient les troupes pour lutter contre le colonialisme, et comme nous l’avons appris aussi, un certain Bisangwa fils de Rugombituri par exemple, un chef d’armée d’ethnie hutu, se serait même donné la mort après la défaite, voyant que le Rwanda de Gihanga était perdu avec la venue de la puissance coloniale. Nous savons qu’à cette époque, à la fin du 19e siècle, Rwabugiri, le roi conquérant n’était plus. Pourtant le Hutus continuaient à prendre une part active dans les institutions traditionnelles rwandaises.
Pour ne pas trop nous éterniser sur le système traditionnel rwandais, présenté souvent de façon outrancière comme une catastrophe pour le pays par certains historiens et anthropologues, ceux-ci ayant travaillé pour le compte de colonisateur pour faciliter le „divide ut impera“ (Diviser pour régner), revenons plutôt aux événements qui ont marqué la fin du règne de Mutara Rudahigwa, puisque c’est à cette période que l’abbé Fortunatus a voulu aussi concentrer sa pensée.
D’abord, si on revient sur les hypothèses sur la mort du roi, on voit bien que l’Abbé Fortunatus a voulu privilégier la thèse de Harroy, selon laquelle le roi se serait immolé en Umucengeri selon la tradition du code ésotérique. Cette thèse est, à mon avis, à plusieurs ponts de vue, assez biaisée. Dans la conscience populaire, il est bien connu que le roi Rudahigwa, qui dérangeait visiblement les plans du colonisateur en Afrique des grands lacs, aurait été purement et simplement éliminé. Même si des preuves manquent cruellement pour justifier cette assertion ancrée dans la conscience populaire, le tout porte à croire que les choses se passèrent ainsi. Si on observe les méthodes privilégiées par certaines puissances impérialistes pour éliminer les opposants, il ne serait pas étonnant que le roi Rudahigwa fût éliminé comme tant d’autres dirigeants gênant. Et à cette époque, l’on se souviendra que Lumumba devait aussi plus tard être éliminé au Congo, également dans des circonstances obscures. La thèse officielle sera que Lumumba aurait été lynché par la population en fureur. Or, on sait que ce sont les services de sécurité des puissances qui avaient décidé de l’élimination de Lumumba. Plus tard, le président Habyarimana mourra aussi dans des circonstances assimilables. Et on voudra présenter à l’opinion que Habyarimana aurait été assassiné par sa propre famille!
Pour ceux qui veulent se borner seulement aux données présentées à l’histoire, sans pousser loin l’analyse pour l’étendre aux réalités sociopolitiques sophistiquées, ils pourraient penser que les services secrets belges ne pouvaient pas recourir aux éliminations de cette sorte, en prétendant que Harroy ne l’évoque nulle part! Pourtant la réalité est souvent tout autre. Cela est arrivé à Lumumba au Congo, au Prince Louis Rwagasore au Burundi…Et pourquoi pas donc le roi Rudahigwa n’aurait pas été victime des services secrets des impérialistes? En tout cas, si Rudahigwa savait qu’il allait s’immoler comme on veut le prétendre, il aurait fait un testament complet avant son départ au Burundi, et rien n’aurait créé le flou pour la succession. Nous savons bien que quand le roi s’est rendu à Bujumbura, il était lui même au volant de sa voiture. Un prétexte d’une réunion convoquée, comme cela se passe souvent lors des assassinats politiques, c’était la raison du départ du roi pour Bujumbura, la capitale de la province coloniale. Le roi n’était pas souffrant, nombreux témoignages l’affirment. Parler de surconsommation d’alcool semble être un argument faible pour justifier la cause de sa mort subite. Tout ce que l’on sait, c’est que le roi est mort, juste après avoir subi une injection soit disant de pénicilline!
Dans tout problème traité, les chercheurs devraient tout le temps se poser la question de savoir à qui profite une situation créée. Et c’est de là qu’il faut suivre la piste pour aller à l’origine du problème. A qui donc profitait la mort du roi Rudahigwa? Sans chercher de gauche à droite, on voit bien que le roi étai devenu un élément gênant pour la colonisation et surtout sa collaboration avec le nationaliste Lumumba irritait au plus haut point certains. La Belgique était en train de perdre le Congo, sans le vouloir. Politiquement, il aurait fallu y avoir un arrière pays où la colonisation pouvait continuer agir tout en contrôlant l’évolution des événements au Congo. Ceci les Nations unies l’ont confirmé dans l’une des résolutions prises à cette époque, disant qu’elles ne voulaient pas que la Belgique utilise le Rwanda pour sauvegarder ses intérêts de l’autre coté de la frontière. Or le roi ayant collaboré avec Lumumba, il était devenu l’ennemi de la Belgique. Nous le verrons avec l’envoi étrange de Guy Logiest au Rwanda. Jamais les intérêts de des indigènes n’avaient primé lors de la colonisation. La Belgique qui se plaignait toujours que le Rwanda était un poids pour elle en raison de sa pauvreté en ressources, comment pouvait-elle manifester de l’intérêt soudain pour ce pays, et cela juste au moment où elle était en train de perdre le Congo? Ceux qui veulent affirmer gratuitement que le colonisateur visait les intérêts du Rwanda quand elle s’est occupée particulièrement du pays 1959, c’est qu’ils veulent éviter une approche plus approfondie dans leurs démarches. Donc, sans aller trop loin, on peut constater que les hypothèses comme l’immolation du roi, son alcoolisme tout comme sa prétendue maladie, ce sont des subterfuges pour couvrir le vrai commanditaire d’un plan diabolique derrière la mort du roi Rudahigwa.
2. L’avenement de Kigeli V
Beaucoup d’histoires ont été inventées pour parler de l’avènement du roi Kigeli, mais peu sont ceux qui se donnent la peine de demander l’intéressé lui même qui, comme nous le savons, est toujours en vie. Comment donc donner de crédibilité aux avancées historiques qui veulent donner la parole à Jean Paul Harroy et Guy Ligiest, tout en ignorant la position du principal protagoniste de cette situation, à savoir le roi Kigeli lui-même? Tant que certains vont continuer à refuser d’écouter les arguments de celui qui a joué un rôle de premier plan dans ces événements, on prendra toujours les positions y relatives pour tendancieuses, et non pas pour des vérités historiques crédibles.
Tout ce que l’on peut dire, c’est que le roi Rudahigwa, étant mort inopinément, ne pouvait pas disposer de temps pour désigner le successeur en bonne et due forme. Cependant, des preuves existent aussi, pour montrer que le pouvoir colonial avait prévu un successeur, ayant décidé assez tôt de changer le pouvoir au Rwanda. D’ailleurs, l’existence du parti RADER, soutenu par le pouvoir colonial, s’inscrivait dans ce cadre. Mais après la mort du roi, les soupçons du complot planaient, et la population ne pouvait pas ne pas remarquer que roi était mort dans les circonstances fort questionnables.
Ce qu’on a nommé le coup d’état de Mwima, était en fait un plan conçu pour contrecarrer les plans du pouvoir colonial et c’est ce qui s’est réalisé. Le roi étant enterré sans qu’on connaisse le successeur, c’étaient les desseins de pouvoir de tutelle qui entraient d’office en vigueur. Or le peuple n’a pas voulu cela. Ceux qui ont improvisé Ndahindurwa, ignoraient déjà que le Rudahigwa auraient voulu aussi que les choses se passent ainsi. C’est ainsi que le pouvoir colonial, pris au dépourvu, voulu savoir ce qu’en pense l’abbé Kagame qui était le confident du roi. C’est après que l’Abbé Kagame ait confirmé que les événements de Mwima ne sont pas en contradiction avec la tradition que le pouvoir colonial, par souci de prudence, a du se plier à la volonté du peuple manifestée à Mwima. Ce d’ailleurs ce que l’abbé Kagame explique dans cette lettre adressée à Mgr Perraudin:
„Excellence Révérendissime,
Lorsque nous étions à Nyanza le soir du 25 courant, en réunion avec Monsieur le Résident du Rwanda, il a été question des funérailles de Mutara et de l'endroit où serait situé son tombeau. Comme Vous Vous le rappelez, j'ai clairement indiqué que le cérémonial du “Bwiru”, dont je possède le texte, ne se prêtait à aucun point à quelque adaptation que ce soit concernant l'enterrement d'un chrétien.
Monsieur le Résident du Rwanda n'a pas abordé le problème de succession, cela se comprend, car il s'agissait d'une matière relevant de ses supérieurs. Lorsque la séance fut levée, je lui ai dit: “Il faudrait d'abord voir si Mutara n'aurait pas laissé un testament écrit. Dans le cas où il n'aurait rien écrit, je pourrais signaler certaines dispositions dont il m'a parlé et qui peuvent avoir leur importance.” Monsieur le Résident m'a répondu que mes informations seront sollicitées au fur et à mesure qu'on en aura besoin, et nous sommes sortis.
Une fois dehors, Vous Vous rappelez, Excellence, je vous ai confié que Mutara m'avait très clairement indiqué celui à qui il léguerait sa haute fonction, à savoir son jeune frère Jean Baptiste Ndahindurwa. Vous m'avez alors demandé de vous en écrire un petit mot. Au moment où Mutara me l'a dit, il ne pensait évidemment pas à sa mort prochaine, mais il avait été question du fait qu'il pourrait n'avoir pas un enfant.
Comme il s'agit ici d'un problème fort important, Excellence, et que je pourrais être appelé à informer les autorités compétentes, je préférerais le faire sous Votre couvert et peut-être ne pas paraître du tout, si Vous voulez bien en disposer ainsi.
Le futur monarque portera le nom de Kigeli V. La coutume veut que le monarque soit désigné avant l'enterrement de son prédécesseur, mais intronisé quelques mois lunaires plus tard. Avant les cérémonies d'intronisation, le pays portait le deuil et les tambours ne pouvaient pas se faire entendre.
Dans le temps cependant, il était possible de désigner le nouveau monarque avant l'enterrement de son prédécesseur, du fait que les deux événements ne se passaient pas au même lieu. Dans le cas actuel, il serait choquant de se réjouir avant l'enterrement de Mutara. Il faudra donc attendre que les funérailles aient lieu. Si vous avez besoin de quelques compléments à ces informations, Excellence, je suis prêt à vous les donner.
Veillez agréer, Excellence Révérendissime, l'expression de mes sentiments filialement respectueux en Notre Seigneur.
Signé Abbé Alexis Kagame. » (MgrPerraudin, Un Evêque au Rwanda.)
Dire que l’Abbé Kagame se serait abstenu d’aller à Mwima parce qu’il était de connivence avec ceux qui ont fait le „coup d’état“, se serait aussi exagérer. Certes l’abbé Kagame ne voulut pas manifester qu’il prenait le parti de qui ceux qui ont proclamé Ndahindurwa comme roi, mais tous ses écrits montrent bien que Kigeli avait était préparé pour la succession, au cas où le roi venait à mourir sans descendance. Il est inutile de prétendre que puisque l’intronisation officielle n’a pas eu lieu, que Kigeli ne serait pas pour autant le roi du Rwanda. Juridiquement, Kigeli V a prêté serment devant l’autorité de tutelle, pour régner en monarque constitutionnel. On entre en fonction officiellement dans le monde moderne, quand l’on prête serment. L’intronisation selon la coutume ne change rien à la donne. Elle peut avoir lieu n’importe quel moment, l’essentiel étant l’entrée en fonction. D’ailleurs cette entrée en fonction a été considérée aussi comme une sorte d’intronisation comme l’indique ce texte:
« Immédiatement après son élection, Kigeri V, accompagné de Monsieur le Résident du Rwanda, se mit à parcourir le pays pour se montrer aux populations.
Il n’était cependant qu’un désigné, un élu. Ce premier stade avait été accompli à Mwima, mais d’une manière adaptée aux circonstances, car la procédure traditionnelle était conçue différemment. Le deuxième stade, celui qui, aux yeux du Code ésotérique, conférait la dignité royale, devait être accompli ultérieurement. Le cérémonial ainsi appelé Intronisation correspondait au couronnement de la Culture Européenne.
On s’aperçut à cette époque que les Abiru, cette fois-ci les vrais, entraient désormais en scène et entendaient imposer leur point de vue. Il y avait pratiquement deux catégories : les Abiru vieux style, auxquels le nouveau Roi venait d’ajouter de nouveaux promus, ces derniers appartenant certes aux Familles des Abiru, mais ne connaissant rien du Code ésotérique. Ces gens-là, surtout les vieux, croyaient fermement à l’efficacité magique des poèmes composant le Code ésotérique.
La deuxième catégorie était formée des Politiciens. Ils ne croyaient certes pas à l’efficacité interne de ces poèmes traditionnels, mais ils entendaient s’en servir. Ils savaient que l’attitude atavique de la population attribuait à l’Ubwiru (Code ésotérique) une efficacité irrésistible qui fondait le prestige de la royauté.
Ils recoururent à une sorte de technicien [certainement le Mwiru Alexis Kagame], détenant le texte de ces poèmes. Son rôle consistait à faire en sorte que la future intronisation fut purement civile, sans aucun mélange d’éléments appartenant à la Religion traditionnelle. La 2ème catégorie était de son avis. Aussi fut-il chargé d’épurer le poème d’Intronisation, pour en faire un texte purement civil, expurgé de tout symbolisme magique.
Mais la grosse difficulté surgit au sujet du mode d’intronisation : le technicien exigeait que toutes les cérémonies se passassent entièrement en public, sur une esplanade visible à tout le monde. Les autres objectaient que ce mode dépouillerait le cérémonial de toute sa valeur. Pour eux, l’ésotérisme était nécessaire ; le technicien objectait à son tour que l’ésotérisme était justement l’un des éléments à exclure. Ils proposèrent un compromis : une partie du cérémonial serait célébré à l’intérieur, et à l’extérieur la partie où interviennent les représentants des Familles. Le compromis échoua, car ces gens ne voulaient admettre à l’intérieur que quelques personnages d’entre les invités. Le « technicien » déclara qu’il n’y assisterait pas si tous les invités de marque, Représentants de la Tutelle en tête, n’y assistaient pas. Or il était entendu que sa présence garantissait l’absence de toute cérémonie en désaccord avec la Doctrine de l’Église.
Ces discussions eurent même lieu une fois à la Résidence de Kigali, car le programme des fêtes en préparation intéressait la Tutelle. La thèse des Abiru fut soutenue par le Conseil Supérieur du Pays, qui soutint que l’intronisation devait se faire ésotériquement, sans aucun témoin qui ne fut Rwandais. On était ainsi en plein dans un jeu d’une politique qui, pour revaloriser le Code ésotérique, ne voulait rien entendre, ni vis- à- vis des Rwandais émancipés, ni vis-à-vis de l’opinion internationale. Les intéressés faisaient surtout abstraction du fait que le pays n’était pas indépendant, libre d’agir sans tenir compte des Autorités de la Tutelle» (Kagame, A., 1975, pp. 263-264).
Il va sans dire que dans l’entretemps les traditionnalistes ont dû céder, et que l’intronisation/investiture du Mwami Kigeri V Ndahindurwa a eu lieu selon la « Culture européenne » :
« C’est le 9 octobre qu’après quelques difficultés [obstruction des conservateurs], le Mwami Kigeri V prêta son serment d’investiture à Kigali en présence du Vice-Gouverneur Général et de 27 membres du Conseil Supérieur du Pays »(Kagame, A., 1975. p.266).
Les faits historiques qui ont suivi l’entrée en fonction dur Roi Kigeli V méritent aussi qu’on y prête une attention particulière, et qu’on ne les interprète pas tout en pensant que les fautes se trouveraient toujours du coté du pouvoir traditionnel rwandais, et que le colonisateur n’y serait pour rien.
Un point à ne pas passer dessus sans qu’on fasse d’analyse plus approfondie, c’est la nomination du Guy Logiest au Rwanda, comme résident spécial. Comment expliquer que le colonel qui venait d’échouer dans les événements au Congo, soit le mieux indiqué pour Rwanda? Certes Logiest a été vu comme un homme providentiel pour protéger les leaders hutus contre les menaces des Unaristes. Pourtant interpréter ces événements sans y voir le calcul politique du pouvoir colonial, ce serait aussi un manque d’objectivité. Et de fait, Logiest fut envoyé au Rwanda, avec mission spéciale de poursuivre les actions de la métropole au Congo. La Belgique avait certainement ses raisons pour vouloir retarder l’indépendance au Rwanda. Seuls les leaders hutus n’avaient pas d’objection quant à retarder l’indépendance du pays, puisqu’ils voulaient que le problème du monopole créé à l’époque colonial soit résolu d’avance. Pour cette coïncidence des intérêts respectifs, la Belgique se résolut à s’appuyer sur les Hutus. Comme Guy Logiest l’aurait lui-même expliqué au roi Kigeli, il était en mission pour enlever le pouvoir des mains des Tutsi pour le passer aux Hutus. Il aurait même expliqué que si son gouvernement changeait d’avis et qu’il décidait autrement en lui ordonnant de repasser le pouvoir au Tutsi, qu’il le ferait sa vergogne.
Ceci dit, le referendum qui a aboli la monarchie tout en préparant le Rwanda pour l’indépendance en adoptant la république, se passa suivant la volonté du pouvoir colonial, en accord bien sûr avec les leaders hutu que les mesures coloniales arrangeaient à tous points de vue. Et ceci explique les irrégularités qui ont caractérisé le scrutin, comme le bannissement du roi Kigeli, en contradiction avec les résolutions des Nation Unies dans ce cadre. (v. la résolution 1580 en particulier)
Enfin de compte, nous pouvons bien constater que depuis la colonisation, le peuple rwandais, et la royauté rwandaise par ricochet, ne disposait plus de lui-même. Les importantes transformations au niveau de l’organisation de la société, et même les abus de vouloir faire dominer une catégorie du peuple sur une autre, ce fut toujours la décision du puissant, c’est-à-dire le pouvoir colonial. Ni le roi, ni les Tutsi, ne pouvaient rien faire pour changer les méthodes coloniales. Certes le referendum et la venue de la république ont arrangé la situation des Hutus, longtemps défavorisés par la colonisation, mais cela ne justifie pas cette ingérence et ce mal africain à une période donnée qu’était la colonisation. Que ce soit donc les Unaristes, que ce soit les leaders hutus, tout le monde n’a pas pu sortir de cette mauvaise mentalité d’inégalités qu’avait laissé s’installer la colonisation. Et la preuve de tous ces abus, c’est que tout le peuple rwandais en entier ne s’est jamais retrouvé dans les différentes républiques telles qu’elles se sont succédées.
3. A propos des 13 Points faisant la conclusion de l’Abbé Rudakemwa
1°Traditionnellement les Bahutu méprisaient les Batwa. Personne ne peut en disconvenir !
2°Traditionnellement, les Batutsi méprisaient les Bahutu et les Batwa. Cela est aussi une réalité claire. Mais il faut dans tous les cas entendre le mépris, pas dans le sens de cruauté en tant que telle. C’était des groupes de cultures un peu différentes qui se côtoyaient, si l’on peut dire, et les activités principales étaient diversifiées. Les uns vaquaient principalement aux activités pastorales, les autres s’occupaient surtout de la terre et la forge, tandis que les autres aussi s’adonnaient à la chasse et à la poterie. Mais ce que les gens veulent toujours ignorer, c’est qu’il y avait une interaction entre ces activités. L’Ubuhake n’était pas aussi condamnable comme telle, car il facilitait cette interaction. En plus, beaucoup de recherches ont révélé que le pouvoir traditionnel avait essayé de faciliter le partage. C’est ainsi que les chefs du pâturage (Abatware b’Umukenke), étaient généralement en majorité Tutsi, tandis que les chefs de la terre (Abatware b’ubutaka) étaient en majorité hutu. Quant aux chefs der régiments d’armées (Abatware b’ingabo), on constate que les responsabilités étaient tout à fait partagées (40 % Tutsi, 40 % Hutu, 20% Twa). Ainsi traditionnellement, les gens se sentaient protégées, et ne s’entretuaient pas entre ethnies.
Ce n’est donc qu’avec la venue de la colonisation, avec l’indirect rule, que les choses changèrent. Le colonisateur préféra s’appuyer sur le Tutsi pour régner sur les autres. Ainsi des chefs des armées, des terres, des pâturages, tout ce système fut aboli en 1926, et il fut institué des chefferies, pour s’occuper des tous les secteurs en bloc. Tout fut placé dans les mains des chefs, qui devinrent des instruments de colonisation. Signalons que même l’église catholique tomba dans ce piège de la création des inégalités prononcées. L’Ubuhake fut épuisé de son contenu, se transforma en travaux forcés sous les coups de la chicotte. Du moment où traditionnellement l’Ubuhake concernait tout le monde, tant les Hutu que les Tutsi, sous la colonisation les Tutsis furent affranchis des certains mauvais traitements. Le roi n’avait plus de pouvoir réel. Qui pouvait donc s’opposer aux mesures coloniales? Même ailleurs, pas seulement au Rwanda, aucun Africain n’a pu s’affranchir des corvées et de la chicotte avant l’indépendance. Quel pouvoir avait donc le roi du Rwanda pour s’opposer à la puissance coloniale?
3°Avant la colonisation, le pouvoir des Abanyiginya n’aurait pas été solidement implanté qu’au centre et dans une partie de l’est du Rwanda. C’est possible, mais le pouvoir était là quand même, car les régions mêmes qui n’étaient pas totalement sous contrôle payaient la tribu (amakoro). Même au delà des frontières actuelles, le pouvoir central du Rwanda était reconnu dans certaines contrées. Il y eut des bouleversements et des rebellions après Rwabugiri, mais cela ne veut pas dire que le pouvoir central ne contrôlait pas toutes les régions avant l’arrivée de la colonisation.
4°L’organisation sociopolitique traditionnelle aurait été basée sur le mépris. Cependant comme nous le voyons au point 2, cela n’est pas tellement justifié.
5°Le Rwanda aurait été régi par un système des castes. C’est possible, mais le comparer avec les intouchables en Inde ou le pouvoir Hitlérien serait exagéré. La monarchie traditionnelle comme le moyen age européen et d’ailleurs, pouvait Hitlérien des classes. Mais avec la modernité, les classes disparaissaient d’elles-mêmes, ou bien n’ont pas beaucoup de signification. En tout cas dans les monarchies modernes d’Europe, les classes n’ont plus aucune importance. Ce n’est pas au Rwanda que les classes auraient une importance si la société se décidait pour une royauté constitutionnelle.
6°L’administration coloniale aurait sauvé la vie à la dynastie nyiginya. C’est possible aussi, mais mis à part des rebellions ici et là, rien n’indique que la dynastie fut au bord du précipice à l’arrivée des colons.
7°L’administration allemande aurait renforcé le pouvoir de Musinga. L’affirmation est juste, mais cela n’empêche pas que la colonisation fut une autre réalité que le Rwanda ne connaissait pas auparavant. Il fut annoncé à Musinga que désormais il devenait le sujet de l’empereur allemand, et que depuis il devait accepter les ordres d’en haut! En échange de sa soumission, les allemands l’ont aidé à mater des rebellions du nord du pays. Le Rwanda devenait totalement unie, mais sous un autre pouvoir, le pouvoir européen.
8° L’administration belge aurait renforcé l’injustice du passé. Cette assertion n’est pas exacte. Car dans d’autres pays africains colonisés où il n’y avait pas eu de dynastie nyiginya, les mêmes injustices se sont commises. Ici pour montrer que le grand problème fut plutôt la colonisation.
9°La nostalgie de Musinga pour les allemands. Cette nostalgie s’explique. Confronté au choix entre les deux maux, il pouvait avoir tendance à opter pour le moindre. Les pays colonisateurs n’agissaient pas tous de la même manière. Même les Rwandais préféraient s’exiler en Ouganda et en Tanzanie pour fuir les corvées, puisque là bas les Anglais les traitaient mieux que les Belges. Sûrement que Musinga aussi avait apprécié les Allemands plus que le Belges.
10°Tout le temps de la colonisation, les Bahutu ont subi des actes discriminatoires à leur encontre. C’est juste. Le colonisateur, c’était lui le maître, il l’avait prévu ainsi. Le Tutsi aussi n’y pouvait rien. La colonisation c’était comme l’apartheid. Le Blanc se considérait comme étant d’une race supérieure. Entre les nègres, ils choisissaient ceux qu’il considérait, selon le théorie anthropologique de l’époque comme celui qu’il voyait comme étant plus ou moins proche du blanc, donc plus apte à commander! A l’époque, il avait vu le Tutsi comme tel. Même l’Eglise à travers Mgr Classe donna son accord. Le moment venu, où les valeurs se sont renversées, le colonisateur vit le Hutu comme étant le plus civilisé. C’est 1959 et ses corollaires. Que faire donc, sinon retrouver son indépendance et proclamer que tous hommes naissent égaux?
11°Les Banyiginya et les Batutsi n’ont jamais refusé en général de servir comme instrument d’oppression! Quel autre peuple aurait réussi à s’opposer aux mesures coloniales, pour que les Tutsis puissent lui emboîter le pas?
12°Les Tutsi se seraient opposés aux initiatives de l’administration belge tendant à alléger l’arbitraire. Si jamais ils l’auraient réellement fait (puisque Rudahigwa fut le premier à combattre les corvées!), ce serait pour eux l’occasion de demander pardon au peuple rwandais, et le peuple ne manquerait pas de leur pardonner, puisque ce n’étaient pas eux les maîtres des destinées du pays. En plus, peu de personnes acceptent de renoncer aux privilèges, quand le système les encourage à les accepter.
13°L’administration coloniale n’aurait jamais abandonné ses alliés locaux! C’est faux. La mort du Mutara, l’intervention de Guy Logiest, l’exil forcé du roi…toutes ce sont des preuves que quand le gouvernement colonial a décidé de changer des instruments de son pouvoir, il a passé aux actes.
Conclusion.
L’abbé Fortunatus Rudakemwa est un historien reconnu. Il a mené un travail scientifique pour prouver le bien fondé de la république rwandaise et les raisons qui expliquent la chute de la monarchie. Je suis d’avis que son travail aura permis d’évoluer dans la compréhension du problème rwandais. Mais toute science qui se respecte ne doit pas rester statique, mais plutôt dynamique. Elle doit donc évoluer. J’aurais préféré que mon humble intervention puisse l’aider à progresser dans ses recherches. Aussi pouvons-nous espérer que tous les autres intellectuels puissent suivre son exemple. Avec le concours d’idées, la recherche de la vérité sera en progression constante. Je le souhaite de tout mon coeur que les recherches de la vérité avancent et que nous puissions atteindre un jour la lumière sur la problématique rwandaise. C’est avec cette lumière que nous pouvons espérer aboutir à une vraie réconciliation nationale.
Théophile.